Miserere
Jesús porte bien son nom : ce jeune mexicain a porté, concrètement, le péché des hommes, et plus particulièrement la déviance d'un prêtre qui se trouve également être pédophile. Un film documentaire sorti le 5 octobre, Agnus Dei, livre son témoignage douloureux, et un réquisitoire contre l'aveuglement des autorités civiles et religieuses.
J'ai vu ce film aujourd'hui. Malgré quelques imperfections, et quelques scènes marquantes par leur violence (j'y reviens), il m'a semblé, selon les mots d'un prêtre de Toulouse mentionné par la réalisatrice dans cette interview accordée à La Vie, "équitable et nécessaire".
La réalisatrice y suit Jesús qui, dans le cadre de sa thérapie, a décidé de mettre son tortionnaire face à ses responsabilités, recueille les sentiments de ses parents et, enfin, met ces paroles en regard avec des scènes tournées dans un séminaire de Mexico qui montrent l'enseignement donné en matière d'affectivité et de sexualité aux jeunes candidats au sacerdoce.
Un contexte humain et complexe ; la responsabilité de l'Eglise
Le film donne à voir en images la situation que j'évoquais avec l'ouvrage de Marie-Paul Ross : un contexte socio-culturel où pauvreté et manque d'éducation priment, associés à une ontologie déviante qui place l'ecclésiastique sur un piédestal, le sacralise, instaurant un rapport complètement dyssymétrique, un rapport d'autorité malsain.
Car à Mexico, le prêtre est un demi-dieu... La réputation d'une famille s'y mesure au nombre de fois où elle le reçoit à déjeuner. La prêtrise y est, plus qu'un sacerdoce, une carrière. Et une carrière qui commence tôt : les familles mexicaines se pressent pour envoyer leurs garçons au séminaire, ou en faire des enfants de choeurs.
Les images tournées au séminaire montrent des candidats jeunes, trop jeunes, pour beaucoup mineurs : c'est proprement irresponsable1 que d'accepter de les laisser prendre un engagement dont ils ne mesurent pas la dimension, à un âge où l'équilibre psycho-affectif et sexuel n'est pas atteint. L'enseignement dispensé en matière d'éducation à la sexualité y est théorique, et confond allègrement chasteté, continence, toutes perçues dans une vision essentiellement rigoriste.
On compatit également au cours du film avec la détresse de ses parents (exprimée dans les larmes et le repentir par sa mère, dans le mutisme et le déni par son père), qui ont compris trop tard qu'en entrant dans ce jeu social, ils avaient littéralement jeté leur enfant dans les bras d'un criminel. On y mesure la complexité de la relation et des sentiments qui lient Jesús à son agresseur, qu'il considérait comme un père, faite de tristesse et de colère, mais également d'une affection paradoxale.
On est révolté face à une justice qui protège un criminel, mettant en doute tout élément à charge (y compris des photos pédopornographiques prises par l'agresseur) et par la rhétorique complice des autorités ecclésiastiques locales qui le maintiennent en activité. Ce que vous faites au plus petit de ceux-là....
Un champ de ruines spirituel. Les dernières scènes.
On reste marqué en sortant de la salle par l'impact humain mais également spirituel, par les dommages causés par cet acte, dans les paroles de la mère "je ne me confesse plus qu'à Dieu et à mes plantes", ou de Jesús "il m'a tué spirituellement". Le ciel est vide pour Jesús.
Les dernières scènes du film sont particulièrement dures. Jesús parvient à retrouver le prêtre coupable d'abus, en train de célébrer la messe. Le montage du film fait alors alterner des images de l'élévation et du Per Ipsum avec des photos explicites de Jesús et de son agresseur. Certains y verront un sacrilège filmographique ; je n'y vois moi que la captation d'un sacrilège réel.
Ce soir, à la messe, s'il n'y avait pas eu d'Agnus Dei, je n'aurais pas eu la force de communier.
- 1. Les séminaires français n'acceptent pas de mineurs, et nombre d'entre-eux - malheureusement pas encore tous ! - exigent des candidats qu'ils aient un diplôme d'études supérieures.