la chasteté est-elle tenable ?
Avec les douloureuses affaires de pédophilie, une question revient de plus en plus fréquemment dans mes discussions : la proposition de l'Église en matière de sexualité est-elle tenable ? rend-elle heureux ou n'est-elle pas au contraire contre-nature ? Je vous propose d'essayer d'y répondre aujourd'hui en partant... d'un extrait de l'excellent film L'Associé du diable avec Al Pacino et Keanu Reeves.
La chasteté, un fardeau ? contre-nature ?
« Pour qui tu le traînes, ton sac de briques ? »
Aux yeux du monde, la chasteté (puisque c'est de ça qu'il s'agit) ressemble furieusement à un « sac de briques », que les catholiques traînent derrière eux comme un fardeau.
Pour certains, les relations avec les représentants du sexe opposé tiennent plus de la chasse à courre que de la cour : les productions des publicistes, dont c'est le métier d'analyser les représentations de notre société, l'illustrent bien1.
Même sans tomber dans ces extrêmes, beaucoup pensent que pour trouver le grand amour, il faut 'essayer' son partenaire, vérifier sa 'compatibilité'. Cet argument pratique en cache souvent un autre : beaucoup voient également la sexualité comme un 'besoin naturel' qui doit être impérativement satisfait dans les meilleurs délais, toute opposition à cette satisfaction immédiate étant contre-nature.
« C'est un refoulé, c'est un sadique ! »
Je m'étonne toujours que les gens refusent toute intervention du religieux dans le domaine de la sexualité : le statut de 'besoin naturel' de la sexualité, revendiqué dans leur vision, pose naturellement quelques questions d'ordre spirituelles : à quoi pensait Dieu quand il nous a créés ?
Dans cette vision, en effet, comme le décrit à merveille Al Pacino, Dieu serait une sorte de sadique qui crée l'homme chargé d'instincts, pour aussitôt le restreindre, le frustrer dans l'expression de ces instincts par une morale restrictive, qui irait contre notre nature.
A cette image du Dieu-pervers correspond l'idée d'une morale hypocrite, faite d'un ensemble de règles imposées par l'Église et subies par tous. Les scandales actuels permettent de se complaire à peu de frais dans cette vision, en accréditant l'idée que les prêtres sont incapables de vivre ce qu'ils enseignent.
Un autre regard sur la chasteté
L'Église ne nie pas la puissance du désir qui nous habite : cependant, plutôt que d'y voir seulement l'expression d'une nature animale, elle croit que la puissance de notre désir reflète la grandeur de notre vocation en tant que créatures. C'est parce que nous sommes appelés à vivre l'Amour avec un grand "A" que notre être est ainsi tendu, entièrement et parfois de manière douloureuse, vers cet Amour.
C'est parce que nous sommes appelés à beaucoup que nous désirons beaucoup ! Quel est donc cet appel ? C'est l'appel à nous donner complètement ; à donner notre vie pour un(e) autre2. Cet appel fait écho au don de Dieu, qui nous a donné la vie lors de notre création, mais plus encore veut se donner lui-même, entrer en relation avec nous.
« Regarde... mais ne touche pas ! Touche... mais surtout ne goûte pas ! »
Si la question de posait en ces termes, alors la chasteté ne serait qu'une morale légaliste. Mais la vrai question que pose la chasteté n'est pas Jusqu'où ? mais Quels gestes poser pour me donner concrètement à l'autre et pas me l'approprier, en faire ma chose ? Quels gestes, dans l'état actuel de notre relation, risquent de me faire réduire l'autre à son corps, ou à des parties de son corps, et oublier la personne qu'il ou elle est ?
L'Église connaît la puissance de notre désir, et le regarde avec bienveillance, car cette puissance nous attire à Dieu, mais elle sait que nous risquons de nous focaliser sur le désir en oubliant l'être désiré. Elle sait qu'entrer dans une dynamique de don prend du temps car il s'agit véritablement de connaître l'autre et de se laisser connaître.
La chasteté n'est pas une liste de choses à ne pas faire ; c'est un appel à vivre le don de soi. Cela ne concerne d'ailleurs pas uniquement la sexualité, ou les célibataires. Nous sommes tous, célibataires ou mariés, appelés à être chastes - c'est-à-dire essayer de nous donner - dans toutes les dimensions de notre vie.
« C'est un proprio qu'habite même pas l'immeuble »
Alors, Dieu, finalement, est-il un sadique ? Nous impose-t-il des règles opposées à nos désirs naturels ? A t-il fixés des décrets arbitraires, inadaptés à notre expérience humaine ? Pas du tout ! Loin de nous regarder comme un observateur extérieur, comme un proprio qui n'habite même pas l'immeuble, il a mis toute sa créativité à dessiner chaque pièce de la plus belle manière qui soit et a voulu venir demeurer avec nous, en Jésus.
Dieu sait que nous sommes sans cesse tentés de vivre centrés sur nous-mêmes, de nous approprier l'autre, de vouloir faire notre vie loin de lui, comme le Fils Prodigue. Plus nous sommes éloignés, plus Il désire notre retour.
Notre inadéquation, notre incapacité d'aimer aussi profondément, aussi fidèlement, aussi totalement que nous y sommes appelés, voilà notre sac de briques, et non pas la chasteté. La chasteté, c'est accepter de toute donner, même ses faiblesses, accepter de déposer son sac de briques à la croix. L'inadéquation, ces derniers temps manifeste, de ceux-là mêmes qui annoncent la chasteté, si elle peut nous en faire douter, nous évite également de croire qu'elle est réservée à une élite désincarnée.
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- 2. "Il n'y a pas de plus grand amour", dit le Christ, "que de donner sa vie pour ses amis"