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Déjà, mais pas encore

Déjà, mais pas encore

Publié par Incarnare le dimanche 20/09/2009 - 14:53 - Blog

Nous fêtions lundi dernier une fête au titre assez incompréhensible : la fête de la Croix glorieuse. Jésus a annoncé qu'il devait souffrir, annonce qui provoque chez Pierre une réaction de refus très violente1 : comment et pourquoi le Maître pourrait-il souffrir ? et puis, Jésus n'a t-il pas annoncé la Gloire de Dieu et ne nous a t-il pas créés pour partager cette gloire ? Jésus nous apprend alors que sa croix sera, à l'image du serpent de bronze de l'Exode, signe de salut pour les peuples. C'est le premier épisode.

Le deuxième épisode se joue aujourd'hui : Jésus annonce une nouvelle fois sa passion et sa résurrection.. et ses disciples ont encore peur. Toutefois, ils ont commencé à intégrer ce fait. Preuve en est : ils se disputent déjà sa place ! En effet, la discussion qui suit n'est pas purement spéculative... il s'agit de savoir qui va devenir le "patron" une fois que le patron sera parti :

Ils arrivèrent à Capharnaüm, et, une fois à la maison, Jésus leur demandait : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Ils se taisaient2, car, sur la route, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand.

Les disciples ont bien intégré qu'ils auraient part à la gloire du Christ, mais ils n'ont pas compris qu'il leur faudrait passer par la Croix ! Jacques et Jean non plus34. Jésus fait alors aux disciples cette réflexion :

S'étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit : « Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d'eux, l'embrassa, et leur dit : « Celui qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c'est moi qu'il accueille. Et celui qui m'accueille ne m'accueille pas moi, mais Celui qui m'a envoyé. »

 

"déjà, mais pas encore"...

Nous sommes toujours dans cette tension du déjà, mais pas encore : nous sommes déjà ressuscités dans le Christ, et pourtant nous sommes toujours pécheurs, avec nos doutes et nos faiblesses, et nous attendons encore la pleine participation à son oeuvre de rédemption. Il n'est pas encore l'heure pour nous de goûter à la gloire du Christ car nous ne désirons à ce jour pas cette gloire, mais une gloire fantasmée, illustrée par toutes les idoles de notre société : jeunesse éternelle, richesse infinie, beauté etc. En revanche, nous pouvons déjà puiser dans le Christ un désir renouvelé, un désir purifié par la rédemption. 

Nous pouvons trouver dans la croix et la résurrection le désir de Dieu, pour qui Il est vraiment et non pour l'image que nous nous en faisons. Qui est-il ? Il est celui qui nous demande à boire, comme à la Samaritaine. Une certaine "théologie de la compassion" verra dans cette scène le Christ s'identifier dans le pauvre et en déduira qu'il faut prendre soin du pauvre. Certes. Mais le Christ nous demande de voir plus loin. "Si tu savais le don de Dieu" : le Christ n'est pas dans la figuration ici... Dieu est Don ! Il se donne en espérant que nous saisissions la beauté de Celui qui se donne et la majesté du don de Lui-même et que nous y répondions par le don de nous-même...

Mais c'est anticiper. A cette étape, notons juste que la réaction des disciples face au don n'est pas le don en retour mais l'appropriation.

 

Entre compassion et contemplation, de l'action sociale à la liturgie

Dans cet espace de la foi qui nous est offert, dans cette tension entre le déjà et le pas encore, nous faisons également l'expérience de la souffrance. Notre souffrance propre et celle de nos frères. Nous pouvons ainsi échapper à la tentation d'abstraction d'une certaine "théologie de la contemplation", qui consisterait à mesurer l'incroyable don du Dieu tout-puissant dans la pauvreté de l'incarnation, sans faire le lien avec notre propre vie, sans "in-carner" notre contemplation. Nous ne pouvons faire ce lien qu'une fois que nous réalisons que Dieu ne s'abaisse pas pour rejoindre une condition indigne, ce qui serait du masochisme, mais qu'Il voit, au-delà de notre manière indigne de vivre notre condition humaine, la dignité profonde dont Il nous a pourvu au jour de notre création, et dont le corps est le signe5.

Ainsi,  nous ne nous mettons pas au service d'un monde déchu dans l'espoir de le rendre meilleur par nous-mêmes, nous le faisons parce que nous voyons dans ce monde, malgré ses imperfections, les prémices du monde à venir ; parce que le Christ a communié à cette souffrance et que Dieu l'a ressuscité. L'action sociale catholique ne saurait ainsi être vécue indépendamment de l'Eucharistie, qui n'est alors pas un simple team-building de la communauté paroissiale mais est au contraire participation active - par l'acceptation du don - à l'oeuvre du salut. Le dialogue de la prière sur les dons, avant la prière eucharistique est éloquent : le sacrifice du Christ est offert pour la gloire de Dieu et le salut du Monde

Sans l'Eucharistie, l'action sociale est un ensemble d'oeuvres que nous réalisons pour Dieu. Nos oeuvres, Il s'en réjouit, mais préférerait encore que nous participions à son oeuvre, à l'oeuvre de Dieu. Ce n'est pas nous qui obtenons notre propre salut par nos actes - encore moins le salut du monde - mais Dieu qui le donne gratuitement.

 

Que signifie "partager la Gloire de Dieu" ? 

Nous avons vu que l'action sociale sans l'eucharistie était au mieux vaine, au pire vaniteuse. Faut-il alors se réfugier dans la liturgie pour goûter pleinement la gloire de Dieu ? Notre problème, c'est que nous avons une conception très hollywoodienne de la gloire de Dieu : le Dieu du Prince d'Egypte de Dysney qui sépare les eaux planqué dans sa nuée énigmatique nous attire bien plus que le mystère du Dieu incarné qui ne cesse de se donner, que le regard du Christ qui a suffi à convertir Nathanaël. Il pousse le don dans l'humilité jusqu'au bout en se redonnant à chaque fois dans un simple morceau de pain et, au lieu de vivre puissamment la beauté du don et de répondre en retour, nous dissertons avec une foi dogmatique sur comment il a bien pu se planquer tout en entier dedans...

Le Christ nous montre un autre chemin : celui d'aimer comme il aime. De voir en chacun la splendeur du trésor de sa personne, crée et voulue par Dieu. Que cette splendeur suscite en nous le désir de se donner à l'autre et de l'accueilir pour qui il ou elle est. Guérir comme le Christ médecin, c'est à dire non pas en pensant sauver le monde au 200e patient6 mais en accueillant chacun. Alors nous entrons dans la gloire de Dieu.

Nous avons des raisons valables d'avoir peur de cela : le mal se révolte face au don sincère de soi et nombre paient cher, voire au prix de leur vie, ce don désinteressé. Jésus, incarné dans ce monde, en sait quelque chose et nous l'annonce sans hypocrisie. Si l'on choisit l'Amour, il y a des chances que cela se termine à l'on en vienne à passer par la croix.

 

La justification : quid des actes ?

On l'a vu, nos actes sont peu de choses pour notre salut, et les protestants ont bien raison de fustiger notre salut par les oeuvres, qui s'apparente bien souvent au désir des apôtres d'être le plus grand. Est-ce à dire qu'ils sont inutiles ? Loin s'en faut ! Trois aspects méritent d'être soulignés ici. 

En premier lieu, nos actes sont l'expression de notre proximité à Dieu : en étant la manifestation concrète de notre coeur. Le coeur est premier et les actes ensuite7. Nos actes sont une sorte de baromètre de l'âme. Nous pouvons dupper les autres un temps8, mais un examen de conscience rapide nous rendra à l'évidence.

Ensuite, nos actes sont le lieu où nous apprenons à accepter le don de Dieu : comme disait St Thomas d'Aquin, bonum est diffusivum sui c'est à dire que le bien est prodigue en lui-même et tend à se répandre. C'est en forgeant que l'on devient forgeron, où plutôt en aimant que l'on devient... saint ! (et non pas parce qu'on est saint que l'on aime).

Enfin et cela se comprend aisément lorsqu'on a saisi les deux points précédents.. La participation à la gloire divine n'est pas la récompense de l'amour : nous ne gagnons pas notre salut et nous ne l'achetons pas. Pour le jeune homme riche9 ce n'est pas le fait de donner sa fortune qui lui ouvre les portes du ciel10. Tout est dans le "Viens, et suis-moi", qui suit cette injonction dont le but est de montrer au jeune homme qu'il se préfère encore à lui-même, ce qui le rendra tout triste. La participation à la gloire divine n'est pas la récompense de l'amour: la participation à la gloire divine est dans le fait d'aimer ! 

Quel est le plus grand amour ? Celui de donner sa vie pour ses amis, répond le Christ. C'est précisément ce qu'il fait, en se donnant totalement, librement. C'est alors que "le Fils de l'Homme est élevé afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle. Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle."11

 

(Merci au P. François pour son homélie, à l'origine de ce billet). 

  • 1. dans l'évangile de dimancher dernier
  • 2. Comment ne pas voir ici une réminiscence d'Adam et Eve qui se cachent, honteux de leur propre concupiscence ?
  • 3. ce sera la troisième épisode, si vous suivez la liturgie dans les semaines à venir
  • 4. Jacques et Jean sentent que leur démarche n'est pas la bonne : la preuve, c'est pas l'intermédiaire d'un tiers - leur mère - qu'ils font demander la droite et la gauche du Christ
  • 5. Si cela vous semble abstrait, lisez les parties Intro et Théologie du Corps de ce site web
  • 6. un médecin qui pense ainsi en viendra vite à dire qu'il est à son 10ème "plâtre" de la journée, ce qui est assez symptomatique
  • 7. 1Co 13,3 : "Quand je livrerais même mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien"
  • 8. 1Co 13,1 : "Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas la charité, je suis un airain qui résonne, ou une cymbale qui retentit."
  • 9. cf. Mt 19,16-30
  • 10. Saint-Paul l'a bien compris et explicite en 1Co 13,3 : "Et quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, [...] si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien".
  • 11. Evangile de la fête de la Croix glorieuse

 
 

 
 

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