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La Nudité Originelle

La Nudité Originelle

Publié par Incarnare le dimanche 23/08/2009 - 22:09

Si la solitude originelle et l'unité originelle sont les fondations de la vision de l'homme bâtie dans la Bible et dessinée par Jean-Paul II, la Nudité Originelle en est selon lui la clef-de-voûte: c'est en effet la nudité dépourvue de honte qui décrit le mieux "l'état de leur conscience et l'expérience mutuelle de leur corps"1. La Genèse continue en effet ainsi2 :

 Tous les deux, l'homme et sa femme, étaient nus, et ils n'en éprouvaient aucune honte l'un devant l'autre.

Constatons que dans cette nudité dépourvue de honte, la honte n'existe pas : il ne s'agit pas d'un sous-développemet de celle-ci, comme par exemple l'absence de gêne d'un enfant qui ne maîtrise pas encore le sens de son corps.

Il ne sagit pas non plus d'une inhibitition de la honte, "tout honte bue". Une telle absence de honte serait immodeste et implique le refoulement d'une honte qui aurait des raisons d'exister, comme le retour sans contrition du pécheur vers Dieu3

 

La clef de l'anthropologie biblique :

La honte face à notre nudité est justifiée lorsque cette nudité constitue une menace pour la dignité de la personne. L'expérience de la nudité originelle est dépourvue de honte car être nu ne constituait aucune menace contre cette dignité. Seule la nudité qui fait de la femme (respectivement, de l'homme) un objet pour l'homme (resp. la femme) est source de honte. Jean-Paul II conclut : "Au commencement, la femme n'était pas un objet pour l'homme, ni lui pour elle".4

On l'a vu, la honte protège la dignité de la personne. La principale menace contre cette dignité est une attitude utilitariste qui consiste à considérer l'autre comme un moyen de satisfaction de mon propre besoin (physique, affectif) : si la pornographie ou la prostitution, qui à des personnes substituent des corps anonymes, en sont un exemple frappant, cette réduction de l'autre à mon besoin est présente dans notre expérience quotidienne.
Seul le désir réciproque de se donner pleinement à l'autre, dans une relation où chacun est conscient de la valeur du don que l'autre lui fait et décide de se donner en retour, permet à la honte de perdre sa raison d'être. "Le corps humain dans sa nudité devient alors source de communication interpersonnelle"5

L'anthopologie proposée ici par la Bible s'appuie réellement sur l'expérience personnelle d'Adam et Eve, sans la théoriser ou la conceptualiser. Le Christ, en faisant référence au commencement, établit un lien entre cette expérience de la nudité dépourvue de honte et notre expérience de la nudité. Notre gêne face à la nudité nous montre que la vision que nous en avons est exactement le négatif (au sens photographique du terme) de l'expérience que nous devrions en avoir. 

 

Qu'est ce que la honte ? 

L'audience du 19 décembre 19796, s'ouvre sur cette question importante. Notons tout d'abord que la honte est une réalité interpersonnelle. Même si elle a un sens profond pour chaque personne, elle est liée au regard de l'autre : on a honte devant quelqu'un. Une personne n'a aucune raison d'avoir honte de sa propre nudité quand il ou elle est seul(e) - à moins d'en faire quelque chose d'honteux.

La honte manifeste un besoin profond d'acceptation, de reconnaissance et d'affirmation de notre personne et, dans le même temps, une crainte que l'autre ne reconnaisse pas et n'affirme pas la vérité de ma personne, révélée par ma nudité. On se couvre alors7.

 

Se communiquer en vérité

Toutes les articles de psychologie qui traitent du couple  - qu'ils soient publiés dans un magazine féminin ou dans une revue scientifique - insistent sur l'importance de la communication au sein du couple. Pourtant, Jean-Paul note que nous avons perdu le véritable sens du mot communiquer. La "vraie" communication, selon le Pape, est l'expérience du commune union. Communiquer, c'est établir une communion dans le don sincère et mutuel.

Ces articles proposent invariablement différentes "méthodes" ou "techniques" de communication, qui permettent de se parler. Ils sont certainement très profitables. Toutefois, peu d'entre eux mentionnent le besoin de développer une vraie communion dans le don réciproque.
La convoitise - c'est à dire le fait de vouloir non pas de donner complètement à l'autre mais se l'approprier pour ma propre jouissance immédiate - est l'ennemi principal du don de soi qui rend possible une communication conjugale authentique. Apprendre à dépasser la convoitise pour entrer dans la "liberté du don" est ainsi l'une des techniques de communication les plus importantes de la vie conjugale.

L'expérience de la nudité originelle témoigne d'une communication authentique, de la pureté du don sincère de soi. Cette pureté permet de communiquer une connaissance intime de la personne. Ecoutons Jean-Paul II8 :

 La "nudité" signifie la beauté originelle du projet divin. Elle signifie la simplicité et la plénitude de son regard qui révèle la pureté de l'homme et de la femme, du corps et de la sexualité.

Grégoire de Nysse, un Père de l'Église, qualifie les feuilles de vigne de haillon de misère9. Ils ne sont pas un cache-misère au sens où la nudité serait par elle même misérable, mais ils revèlent notre incapacité à voir dans le corps de l'autre la valeur unique et irrépétable de sa personne. Pour Jean Chrysostome, autre Père, la nudité est notre vêtement de gloire10: il prêchait ainsi11 : "Ils jouissaient d'une telle confiance qu'[il] en était effectivement, comme s'ils n'avaient pas été nus : la gloire d'en haut les vêtait mieux que n'importe quel vêtement".

 

La Paix de la Contemplation

Selon Saint Augustin, le désir le plus profond de notre coeur est voir l'autre et d'être vu dans ce regard d'amour ; d'aimer et être aimé ; de connaître et être connu. Il développe sur le regard de compassion et d'amour du Père12:

 Malgré ces désordres il peur te voir, tu ne saurais le voir toi-même, tandis qu'en pratiquant la vertu, tu le verras comme tu es vu de Lui. S'il t'a regardé avec tant de compassion pour t'appeler malgré ton indignité, avec quelle tendresse plus grande te contemplera-t-il quand il couronnera tes mérites ?

Saint Augustin fait ensuite référence à la conversion immédiate de Nathanaël, sur cette unique parole du Christ : "avant que Philippe t'appelât, quand tu étais sous le figuier, je t'ai vu" :

 Le Christ te voit à l'ombre où tu es et il ne te verrait pas dans sa lumière? Que signifie en effet :
« Lorsque tu étais sous le figuier, je t'ai vu? » Quel est le sens, le sens mystique de ces mots? Rappelle-toi le péché originel d'Adam, en qui nous mourons tous. Après sa première faute, le coupable se fit une ceinture de feuilles de figuier

Lorsque le Christ dit : je t'ai vu, Nathanaël sent que ce regard n'a rien de commun avec un regard réducteur, qui catégorise ou qui juge, mais que dans ce regard il est connu dans toute la profondeur de son être. C'est ce à quoi nous sommes appelés : à nous voir nous-mêmes, et à voir les autres avec le regard du Christ : "aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés".

 

Il vit que cela était très bon... 

Combien de nous se regardent dans la glace le matin et pensent : "voici, cela est très bon"13 ?

Notre réaction à cette seule pensée nous mettre à quel point nous nous sommes habitués à vivre notre vie comme un voilier à la voile percée... malgré le péché originel, le christianisme l'affirme haut et fort : la mort est vaincue par la Vie : le Christ a triomphé et nos corps demeurent "très bons".

  • 1. TDC 11,3
  • 2. Gn 2,25 : notons que ce verset semble arriver comme un cheveu sur la soupe... le fait qu'il intervienne précisément à ce point, avant l'arbre de la connaissance, n'est pas anodin.
  • 3. cf. Jr 3,2-3: "Lève tes yeux vers les hauteurs, et regarde! Où ne t'es-tu pas prostituée! Tu te tenais sur les chemins, comme l'Arabe dans le désert, Et tu as souillé le pays par tes prostitutions et par ta méchanceté. [...] Mais tu as eu le front d'une femme prostituée, Tu n'as pas voulu avoir honte."
  • 4. TDC 19,1
  • 5. TDC 62,3
  • 6. TDC 12
  • 7. Notez que l'on dit que l'on se couvre et non que l'on couvre son corps, ce qui semblerait être une description en apparence plus exacte de notre réaction. Les anglo-saxons diront : we cover our-selves, nos personnes
  • 8. TDC 13,1
  • 9. Grégoire de Nysse, Sermon sur le Notre Père, (PG, 44, 1184), cité par André Guindon
  • 10. y'a t-il encore quelqu'un qui croit que l'Église fustige le corps ?
  • 11. Jean Chrysostome, Homélies sur la Genèse, 16, 14(131), cité par André Guindon
  • 12. Saint Augustin, Sermon LXIX
  • 13. Gn 1,31 dans la traduction de Segond.

 
 

 

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