(Préparation au) mariage nul(le)
Le Pape a publié deux motu proprio réformant la procédure judiciaire pour le traitement des causes de nullité de mariage. Quelques réflexions sur ces évolutions, qui sont plutôt bien résumées dans cet article de La Croix : outre la gratuité de la procédure, le défenseur du lien n'est plus tenu de faire appel d'une décision de nullité, une première instance pourra se faire avec un juge unique, et un "processus plus court" avec l'évêque diocésain comme juge unique est rendu possible pour les nullités flagrantes.
Vers un « divorce catholique » ?
C'est ainsi que titre un vaticaniste conservateur. A l'appui, il cite le cas des Etats-Unis, où une procédure similaire a été expérimentée entre 1971 et 1983 : le nombre de déclarations nullité y est passé de 400 par ans à plus de 25 000... Le nouveau code de droit canon de 1983 a mis un terme à l'expérimentation. Mais les Etats-Unis comptent toujours pour plus de 50% des causes de nullités dans l'Eglise catholique.
Alors, faut-il y voir l'émergence d'un "divorce catholique" ? je ne le crois pas. A contrario, il faut noter :
(i) que le motu proprio ne réforme pas les motifs de nullité : il doit toujours s'agir d'un vice du consentement (soit dans la capacité à consentir, soit dans l'acceptation de ce qu'est le mariage : un choix libre d'une communauté de vie, qui suppose l'unicité, est indissoluble, et doit comporter l'intention de la fécondité1). Cf. le billet "le mariage c'est canon", dont le contenu n'est en rien affecté par le motu proprio.
(ii) que le motu proprio conserve la gestion des cas de nullité dans l'ordre judiciaire, là où certains évêques demandaient à pouvoir agir dans l'ordre administratif. En clair : un évêque ne peut décider seul, dans son bureau, qu'un mariage est invalide. Même juge unique, il doit juger dans le cadre d'une procédure judiciaire, qui comporte notamment un défenseur du lien, lequel n'hésitera pas à faire appel s'il le juge bon. Enfin, l'évêque ne s'auto-saisira pas : c'est l'Official qui décidera qu'une cause peut faire l'objet d'un "processus plus court".
(iii) contrairement aux Etats-Unis entre 1971 et 1983, c'est l'évêque qui est le juge unique du "processus plus court". Face à ceux qui pensent que certains évêques2 pourraient faire preuve d'une indulgence coupable, ce processus ne saurait être massifié : quiconque a déjà vu un agenda d'évêque sait qu'il leur sera impossible d'absorber un volume conséquent de causes (sans compter que certains reconnaîtront avec humilité qu'ils n'ont pas les compétences en droit canonique pour ce faire).
Une nullité croissante ?
Faut-il anticiper une hausse du nombre de nullités du fait de cette procédure simplifiée et rendue gratuite, là où auparavant la reconnaissance de nullité était un véritable parcours d'obstacle ?
Notons d'abord que ce parcours était souvent doublé d'un réel combat : beaucoup de personnes ne songent en effet à demander une reconnaissance de nullité qu'au moment de sceller une union... et si certains attendent parfois avec héroïsme la décision de l'Eglise pour s'engager et cohabiter, celle-ci ne commet-elle pas une faute en demandant - par exemple - à une femme de 37-38 ans d'attendre 3 ans pour se marier, risquant de priver ainsi son couple de la fécondité qu'il pourrait légitimement espérer ?
Je m'inquiète d'une rhétorique qui craint en tant que telle une hausse du nombre de reconnaissance de nullité : on sent, sous-jacente, l'idée que l'engorgement actuel, finalement, ne serait pas une si mauvaise chose puisqu'il "sauverait" des mariages. C'est là - me semble-t-il - une erreur importante : l'Eglise, quand elle déclare une nullité, ne fait rien d'autre que la reconnaître. En d'autres termes, le jour du mariage, il y avait ou il n'y avait pas mariage : c'est faire oeuvre de justice que de ne pas lier les personnes à un engagement qu'elles n'ont pu poser librement, du fait d'un consentement vicié.
Nombre de prêtres disent leur tristesse de célébrer "au bénéfice du doute" des unions dont ils sont parfois convaincus qu'elles sont nulles. Ils rejoignent en cela le Pape François qui, dans l'avion de Rio à Rome, disait aux journalistes :
Mon prédécesseur à Buenos Aires, le cardinal Quarracino, disait toujours: « Pour moi, la moitié des mariages sont nuls, parce qu’on se marie sans savoir que c’est pour toujours, parce qu’on le fait par convenance etc… ». Nous devons étudier également le thème de la nullité.
Urgence pastorale pour le Synode
Il y a urgence à trouver de nouvelles voies pour que les personnes s'engageant sur la route du mariage y trouvent une occasion de découverte du Christ et un moyen de grandir dans la sainteté. Le Synode court ici le risque d'être court-circuité par les débats sur l'opportunité de permettre la communion aux divorcés-remariés.
De ce point de vue, le livre des onze cardinaux, qui promet "un éclairage pastoral", est particulièrement décevant3. Hormis quelques passages du cardinal Robert Sarah sur "la préparation au mariage dans un monde sécularisé", quelques propositions du card. Meisner sur le même thème et un état des lieux des défis du mariage catholique en Afrique par le cardinal nigérian John Onaiyekan, les contributions s'illustrent par l'absence totale d'orientation pastorale, se réfugiant dans un propos défensif ou abstrait.
J'avais quitté le précédent Synode convaincus de l'importance de développer « l'art de l'accompagnement» et tenté en d'autres lieux quelques modestes propositions, dont la première4 a trouvé un écho inattendu dans la proposition du Pape d'accueillir les migrants.
Confiant que l'Esprit Saint guide l'Eglise, je prie pour que, par-delà les revendications particulières et combats de chapelle, le Synode offre au Pape des pistes concrètes pour que le mariage redevienne pour les chrétiens un lieu de rencontre du Christ, et pour le monde un témoignage de la joie qu'Il donne.
- 1. s'il manque un de ces "piliers", le mariage est nul
- 2. oui, les catholiques français ont le chic pour critiquer leur évêque
- 3. surtout en regard du premier tome, que nous avions évoqué ici
- 4. Je proposais d'«exhorter plus fermement les familles catholiques à accueillir en leur sein ceux qui sont touchés par cette solitude. Ces familles s’évangélisent elles-mêmes en les accueillant.»