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#Synod14 : développer l'art de l'accompagnement

#Synod14 : développer l'art de l'accompagnement

Publié par Incarnare le lundi 20/10/2014 - 15:24 - Mariage - Blog

A l'issue de l'assemblée extraordinaire du Synode des évêques consacré aux "défis pastoraux de la famille dans le contexte de l'évangélisation", je partage avec vous quelques réflexions issues de ma lecture des documents du Synode, dont il faut rappeler qu'il constitue un point d'étape vers le synode ordinaire de 2015. 

 

Une attention pastorale, fondée sur une vérité doctrinale

Notre esprit est prompt à opérer par oppositions, par des clivages faciles qui sont autant de prêts-à-penser1. Pour certains analystes (et certains lobbys), le synode, s'il voulait être réellement pastoral (entendez : pour manifester au monde la miséricorde divine), devait comme "oublier la doctrine", la modifier ou l'abroger. 

Or, c'est le propre - et la force - de la théologie catholique que de tenir des tensions créatives : loi et grâce, péché et salut...  Pour "penser le synode", comme nous y invite le P. Emmanuel Pic, il faut tenir que l'Eglise, dans le même mouvement, propose une vérité sur la famille et accueille chacun, quelle que soit sa situation. Opposer la pastorale à la dogmatique, ou François à Jean-Paul II et Benoît XVI, n'a pas de sens. Un reporter du Guardian le résume bien :  

 Pour les évêques participants, l'assentiment à une doctrine orthodoxe était un point de départ. Ce que le Pape François a appelé "les vérités fondamentales du sacrement du mariage" n'ont à aucun moment été remises en question : avant, pendant et après le Synode, la sexualité était pour le mariage, le mariage pour l'homme et la femme, ouvert et ordonné à la vie, et la fidélité sexuelle. Il n'y a eu aucun débat sur ces points. Le Pape François n'a pas convoqué le Synode pour changer l'enseignement, mais pour le développer et inclure ce qui lui manquait : une dimension "missionnaire" et "pastorale", cette dimension catholique de la miséricorde, de la guérison, de l'accueil, de l'amour que ceux qui ne partagent pas la foi ne voient souvent pas. Comprendre pourquoi elle leur est invisible était jugement le but du Synode.

Ceux d'entre-nous qui connaissent l'Eglise savent que dans nos paroisses et nos écoles, nos pasteurs... "pasteurisent"2. Ils nous rejoignent là où nous sommes, nous nourissent, nous aident, nous soutiennent, qui que nous soyons, quelle que soit l'étape de notre développement moral. La plupart d'entre-nous vivons ce fossé entre ce que nous sommes et ce que nous sommes appelés à être : être catholique, ce n'est pas un "tout ou rien". La porte de l'Eglise est large, et à l'intérieur, dans l'ensemble, l'ambiance est chaleureuse et accueillante : c'est une clinique pour les faibles, pas un club de personnes suffisantes. On y trouve nuance et compassion, quand bien même l'idéal est clairement affirmé.

Pour rendre justice à la presse que j'ai parfois durement critiquée ces jours-ci3 pour ses interprétations hâtives, il faut reconnaître que les documents du Synode donnent à entendre un ton nouveau pour un texte romain.

Cette différence de tonalité n'est pas à aller chercher dans un changement de doctrine, mais dans une perspective différente : tandis que les réflexions précédentes visaient à développer la doctrine sur le mariage et la famille (avec une grande contribution de Jean-Paul II par la théologie du corps), celle-ci est maintenant "stabilisée"4 et il s'agit de comprendre comment elle est - ou non - vécue et les moyens à proposer pour vivre à plein cette joie de la famille

Il faut préciser, comme le fait le journaliste du Guardian, que la pastorale, et la miséricorde, n'ont pas attendu le synode pour exister. D'où l'agacement de Mgr Gadecki5 lorsqu'on lui parle de révolution : « comme si l'Eglise n'était pas miséricordieuse avant, et qu'elle l'était soudain devenue ! ». Mais Rome, qui (par une saine application du principe de subsidiarité) laisse habituellement aux "Eglises particulières" le soin de définir leurs orientations pastorales, propose donc aux évêques un "partage d'expérience" pour identifier les signes des temps et accélerer la diffusion au niveau mondial des pratiques les plus conformes à l'évangile. 

L'enjeu résidera donc dans la manière dont les "Eglises particulières" se saisiront des conclusions du synode6 qui seront reprises par le Pape dans son exhortation apostolique, et les déploiront, non seulement au niveau des services diocésains, mais jusque dans chaque paroisse7
 

L'« art d'accompagner », au coeur du Synode

L'accompagnement est, je crois, le fil rouge du "Relatio Synodi"8, où le terme revient à 20 reprises. C'est un vrai enjeu que cette ambition d'accompagner des persones sur la durée, là où la pastorale de l'Eglise est souvent limitée à une présence en pointillés lors de "moments-clés sacramentels" de la vie des personnes. 

Pour les Pères synodaux, il faut aller au-delà de la préparation des fiancés au mariage sacramentel (n°39), pour accompagner les couples tout au long de leur vie : les couples dans les premières années de leur vie conjugale (n°40), ceux qui vivent une union civile (n°41) ou cohabitent (n°42). On trouvera un exemple d'une telle pastorale dans l'Ecole de Vie Conjugale, fondée par le Père Cédric Burgun (blog). Les Pères souhaitent également que l'Eglise prennent « soin des familles blessées (couples séparés, divorcés et non remariés, divorcés et remariés, familles monoparentales)».

Quel est le contenu de cet accompagnement ? 

  • L'accompagnement est d'abord l'accueil de la personne, dans la miséricorde, avec les difficultés qui sont les siennes : 

    (n°24) « Par conséquent, sans diminuer la valeur de l’idéal évangélique, il faut accompagner avec miséricorde et patience les étapes possibles de croissance des personnes qui se construisent jour après jour... Un petit pas, au milieu de grandes limites humaines, peut être plus apprécié de Dieu que la vie extérieurement correcte de celui qui passe ses jours sans avoir à affronter d’importantes difficultés.» citation d'Evangelii Gaudium, 44 9

    (n°29) : « L'Eglise est appelée à mettre en œuvre avec la tendresse de la mère et la clarté de l'enseignante (cf. Ep 4,15), dans la fidélité à la kénose du Christ miséricordieux. La vérité est incarnée dans la fragilité humaine de ne pas condamner, mais pour le sauver (cf. Jn 3,16 -17).»
  • Quelles sont ces difficultés ? Contrairement à une opinion répandue, l'Eglise n'identifie pas toute difficulté à une déficience morale (ou péché). Ce n'est pas nouveau, mais le texte le réaffirme fortement. 

    Certaines difficultés ont comme origine les contraintes sociales qui pèsent sur les familles (n°38) : « dénoncer les conditions culturelles, sociales, politiques et économiques, comme la logique du marché, qui empêche une vraie vie de famille, entraînant  discrimination, pauvreté, exclusion et violence »

    Certaines sont liées à des blessures affectives, ou un manque de formation de l'affectivité. (n°10) «Nombreux sont ceux qui ont tendance à rester dans les premiers stades de la vie affective et sexuelle.» 
     
  • L'objectif est d'aider chacun à avancer, là où il en est : 

    Souvent ces difficultés masquent des (n°13) « semences de la Parole » qu'elles empêchent d'éclore complètement. Le Synode insiste longuement sur le fait de partir de cette orientation fondamentale de la personne vers le bien, que ces "semences" manifestent. Là encore, c'est plus un retour aux sources qu'une innovation : déjà, la Somme Théologique de Thomas d'Aquin - et avec lui tout l'enseignement moral de l'Eglise - définit la volonté comme un "appétit" qui a pour objet le bien.

    L'objectif n'est pas (n°32) de « s'arrêter à une annonce purement théorique et découplées des vrais problèmes des gens ». En d'autres termes, (n°33) « il ne s'agit pas de présenter une législation mais de proposer des valeurs », des biens à proposer à cet appétit qu'est la volonté.
     
  • Aider à avancer, c'est donner à chacun les moyens de former

    Son intelligence (n°28) « Conscient du fait que la plus grande miséricorde est de dire la vérité dans l'amour, nous allons au-delà de la compassion. » L'Eglise est consciente de son devoir de proposer la vérité qui lui est révélée sur la beauté de l'amour humain, quand bien même nous ne la vivons pas pleinement. Cette vérité, parfois peu audible dans un monde qui propose d'autres valeurs, a une dimension prophétique : (n°31) « N'oublions pas non plus que l'Eglise qui prêche sur la famille est un signe de contradiction.»

    Son affectivité : le Synode souligne (n°59) « l'importance d'offrir des parcours de formation de l'affectivité qui nourissent la vie conjugale»

    Sa volonté (n°39) : « Vous devez vous rappeler l'importance de la vertu. Parmi elles, la condition de la chasteté est précieux pour la croissance véritable amour interpersonnel. » La vertu est sans doute un mot un peu "poussiéreux" pour nos contemporains, mais la croissance dans les vertus est au coeur du mariage. 

    En d'autres termes, l'Eglise est appelée à proposer, non pas uniquement d'un "accompagnement spirituel"10, mais une véritable formation humaine.
     

Les Pères synodaux font de cet accompagnement de la personne humaine une priorité. Pour la rendre possible, ils recommandent (n°47) la mise en place, dans les diocèses, de « centre de consultation spécialisés de réconcilation et de médiation ». Citant Evangelii Gaudium, 169, il préconisent que « l’Église initie ses membres – prêtres, personnes consacrées et laïcs – à cet “art de l’accompagnement”, pour que tous apprennent toujours à ôter leurs sandales devant la terre sacrée de l’autre (cf. Ex 3, 5).». En France, c'est par exemple ce que propose aujourd'hui l'Institut Karol Wojtyla.

  • 1. Je dénonçais récemment l'usage abusif de la dichotomie progressistes / conservateurs dans une tribune publiée sur les Cahiers Libres.
  • 2. traduction libre !
  • 3. les intéressés - qui ont le dur devoir de commenter des documents provistoires - ont toutes mes excuses
  • 4. même si toujours susceptible d'être approfondie
  • 5. président de la Conférence des évêques de Pologne
  • 6. après un nouvel aller-retour en 2015
  • 7. et ceux qui connaissent l'Eglise savent qu'il y a parfois une distance non-négligeable entre diocèses et paroisses, parfois du fait divergences de vues mais le plus souvent par simple manque de temps pour se concerter... chacun fait souvent "ses" propres "activités" pastorales.
  • 8. Produit de sortie du Synode. Les numéros cités dans la suite du texte font référence à ses paragraphes. Traduction personnelle dans la mesure où la traduction officielle n'est pas disponible à cette heure.
  • 9. On notera qu'ils ont omis le passage où François tance les prêtres "Aux prêtres je rappelle que le confessionnal ne doit pas être une salle de torture mais le lieu de la miséricorde du Seigneur qui nous stimule à faire le bien qui est possible.". Une manière de dire à François que le message était superflu ? :)
  • 10. qui concerne la relation de la créature à son Créateur

 
 

 

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Car tous ont péché...

La presse se fait l'écho d'un livre du journaliste Ekke Overbeek indiquant que Karol Wojtyła, futur Pape Jean-Paul II (et aujourd'hui Saint Jean-Paul II) aurait avant son élection pontificale, en tant qu'archevêque de Cracovie, eu connaissance de témoignages de faits de pédo-criminalité (la presse ne relaie ni le nombre ni la nature des faits) et n'aurait pas apporté la réponse appropriée (à savoir le signalement des faits aux autorités civiles et le déclenchement d'une enquête canonique aboutissant au renvoi à l'état laïc des malfaiteurs).