Vous êtes ici

Forcer la modestie ?

Forcer la modestie ?

Publié par Incarnare le vendredi 06/02/2015 - 14:30 - Corps - Blog

On voit entend parfois parler de la modestie d'une manière qui est problématique. Elle prend la forme d’une injonction faites aux femmes, qui ressemble à ceci : « l’homme est un animal visuel, s’il voit certaines parties de votre corps, il est amené à avoir des pensées sexuelles, donc vous devez vous vêtir pour ne pas les amener chuter ».

Une fausse morale qui fait des dégâts

Ce discours me paraît profondément nocif et, à vrai dire, foncièrement antichrétien. Car si on l’analyse bien, on voit qu’il renvoie deux messages destructeurs :

  1. « Les hommes ne sont pas responsables de leur comportement » :
    - Cela suggère que les femmes sont responsables de ce qui se passe dans la conscience des hommes (« La femme m’a donné du fruit et j’en ai mangé » disait Adam, comme quoi l’homme était déjà bien prompt à rejeter la faute sur autrui).
    - Finalement, ce serait leur décolleté (plus que le self-control des hommes) qui serait le déterminant des actes de ces messieurs, ramené à l’animal instinct. Presque un début d’excuse pour ceux qui en viennent à commettre des actes d’abus.
    - Cette affirmation contribue donc à accentuer la méfiance réciproque entre les sexes.
     
  2. « Il y a quelque chose de dangereux dans le corps des femmes » :
    - Dire que le corps des femmes est une occasion de pécher, revient à dire que ce corps est mauvais.
    - En suggérant que l’attirance sexuelle est problématique, ce discours culpabilise les hommes et les femmes, les amenant à croire qu’ils pèchent sans cesse. Et contribue sans doute à sa façon à l’hyper-sexualisation actuelle de nos sociétés.
    - Il me semble à l‘inverse que toute réflexion sur ces questions doit tenir fermement qu’il n’y a rien de mauvais dans le corps, a fortiori dans le corps féminin, ni dans l’émotion sexuelle ressentie à la vue du corps d’une personne de sexe opposé. Le corps n’est pas le problème. 

Je ne dis pas que les promoteurs de la modestie pensent ainsi, mais ils transmettent parfois malgré eux ces idées à ceux qui les entendent.

Il ne s’agit pas pour moi de dire que nous n’avons aucune responsabilité les uns vis-à-vis des autres : mais qui irait, pour son avarice, blâmer celui qui possède de belles choses ? Ou pour sa gourmandise, celui qui ose manger à moins de 100m de lui ?

Les femmes, au cours de l’histoire, ont dû souvent porter le fardeau de cette façon de penser. Pas uniquement, il faut le reconnaître, loin de chez nous sous la forme de la burqa, mais également sous nos latitudes et dans des sociétés dites chrétiennes, sous la forme de multiples injonctions.

L’erreur de la modestie imposée comme une norme

Considérer la modestie comme une norme me semble contreproductif, pour trois raisons :

  1. les codes vestimentaires sont en grande partie culturels1 et fonction du milieu : on ne s’habille pas de la même manière en Finlande et en Italie, sur la plage ou en centre ville (un décalage flagrant avec le milieu environnant pourra cependant interroger, comme on le verra plus loin)
     
  2. un homme qui n’a pas acquis la vertu de chasteté verra en n’importe quelle femme une proie, peu importe le nombre de couches de vêtements qu’elle porte. A l’inverse, la femme qui se donne comme objectif de séduire un homme sans l’aimer n’a pas besoin d’être très dévêtue pour arriver à ses fins.
     
  3. la binarité de la norme, enfin, renvoie à la morale d’obligation, cette erreur qui consiste à penser que l’essence du bien est dans la loi (alors que la loi ne fait qu’indiquer un bien réel et connaissable, et cela encore les lois humaines ne le font qu’imparfaitement), que la pudeur serait sauve en deçà de X centimètres de peau visible et outragée au-delà.

On le voit donc, lorsqu’on limite la morale à des normes, on perd ce qui est sa substance (un chemin de progression volontaire). En la réduisant à des impératifs catégoriques, à des maximes universelles, on perd de vue qu’elle concerne des actes concrets, des biens singuliers et que le discernement2 doit tenir compte de ce caractère singulier.

Enfin, il est légitime de se demander si la norme est vraiment l’expression de la raison, ou au contraire la manifestation d’une domination masculine, fruit du péché.

Est-ce-à dire qu’il n’y a aucun vice ni aucune vertu dans les tenues extérieures ? Que la morale est tout-à-fait étrangère à cette question ?

La modestie comme vertu

Alors qu’est-ce que la modestie ? Voici la réponse que propose Karol Wojtyla, futur Jean-Paul II, dans Amour et responsabilité :

 La chasteté ne conduit pas au mépris du corps, mais elle implique une certaine modestie du corps. Or l'humilité est la juste attitude à l'égard de toute grandeur véritable. Le corps humain doit être humble vis-à-vis de cette grandeur qu'est la personne, car c'est elle qui donne la mesure véritable de l'homme. Et le corps humain doit être humble vis-à-vis de la grandeur de l'amour, il doit lui être subordonné, et c'est la chasteté qui conduit à cette soumission. Sans la chasteté, le corps n'est pas subordonné à l'amour véritable, tout au contraire, il essaie de lui imposer ses lois, de le dominer : la jouissance charnelle où sont vécues en commun les valeurs du sexe s'arroge le rôle essentiel dans l'amour des personnes, et c'est ainsi qu'elle le détruit. Voilà pourquoi l'humilité du corps est nécessaire. Le corps doit être humble face au bonheur humain. Combien de fois ne prétend-il pas être le seul à posséder la clé de son mystère. Le bonheur s'identifierait alors à la volupté, à la somme de plaisirs que dans les rapports entre l'homme et la femme donnent le corps et le sexe. Comme cette conception superficielle du bonheur empêche de voir que l'homme et la femme peuvent et doivent chercher leur bonheur temporel, terrestre, dans une union durable des personnes !

Si nous devons progresser dans la modestie, c’est ainsi pour mettre le corps à sa juste place, subordonné à l’amour. Et non parce que nous portons la culpabilité du regard de l’autre sur nous.

Le regard de l’autre personne ne doit cependant pas nous être indifférent, et ceci pour deux raisons :

  1. Parce que nous pouvons être tentés de « capturer » l’autre en pratiquant volontairement une séduction qui l’amène à désirer notre corps plus qu’à désirer entrer en relation avec nous.
    Thomas d’Aquin le formule ainsi3 « Mais les femmes qui ne sont pas mariées, qui ne veulent pas se marier, et qui sont dans une situation de célibat ne peuvent sans péché vouloir plaire aux regards des hommes afin d’exciter leur convoitise, car ce serait les inviter à pécher. Si elles se parent dans cette intention de provoquer les autres à la convoitise, elles pèchent »
     
  2. Par miséricorde. Si nous savons notre prochain prompt à tomber, nous pouvons choisir d’éviter de le placer en tentation.
    Mais, d’une part, ni la loi ni une norme ne sauraient imposer cette attention gratuite ; d’autre part, les moyens pris pour cela doivent rester raisonnables. Dépassant la mesure, la burqa est un signe de désespérance quant au possible développement de la chasteté chez les hommes.

La chasteté, chemin de perfection que chaque personne doit parcourir librement

Si, par modestie, les femmes4 ont la bonté de veiller à leurs atours, cela n’exonère par ces messieurs d’acquérir eux aussi la vertu de chasteté.

L’acquisition de la chasteté commence par la connaissance et l’acceptation de son corps. L’émotion sexuelle provoquée par la vue du corps d’une personne de sexe opposé n’est pas en soi problématique ; au contraire, elle traduit juste un bon développement neurophysiologique et psychoaffectif de celui qui la ressent.

Comme toute émotion, elle n’a pas de portée morale : elle n’est ni bonne ni mauvaise. Le désir est la traduction, dans notre corps, dans notre sensibilité, de la bonté de ce l’objet désiré. Ainsi, la faim dit le bien qu’est la nourriture ; elle ne justifie pas que je me jette sur elle de n’importe quelle façon, je dois développer un rapport juste à ce bien.

Quand l’ « objet » désiré est une « personne », la seule manière juste d’être en relation est l’amour5, qui se vit différemment selon la relation qui m’unit à cette personne.

Voilà ce qu’est la chasteté : à partir de cette émotion sexuelle, comment est-ce que j’ordonne mon cœur (par un travail progressif), mes actes, pour aimer cette personne de manière juste, selon qu’elle est une simple passante, une amie, une collège, une sœur, mon épouse ?

Ecoutons Karol Wojtyla une dernière fois :

 Il ne s'agit pas de détruire les valeurs du corps et du sexe dans la conscience en refoulant leur expérience dans le subconscient, mais d'accomplir une intégration durable et permanente : les valeurs du corps et du sexe doivent être inséparables de la valeur de la personne... La chasteté est une vertu difficile et dont l'acquisition demande du temps ; il faut attendre ses fruits et la joie d'aimer qu'elle doit apporter. Mais elle est la voie infaillible à la joie.

  • 1. Thomas d’Aquin écrivait déjà : « la tenue extérieure ne nous est pas dictée par la nature. C’est pourquoi elle varie selon les temps et les lieux. (Cependant) bien que le vêtement extérieur ne soit pas en lui-même donné par la nature, il appartient néanmoins à la raison naturelle de régler ce vêtement extérieur » (Summa Theologica, IIa IIae Q169 art. 1)
  • 2. grâce à la prudence et la tempérance, notamment
  • 3. Summa Theologica, IIa IIae Q169 art. 2
  • 4. c’est souvent dans ce sens-là que l’argument est posé, mais tout le contenu de ce billet pourrait être transposé
  • 5. « Le principe d’’utilité’ lui même, consistant à traiter une personne comme moyen en vue d’une fin, cette fin étant ici la maximisation du plaisir, sera toujours en contradiction avec la voie de l’amour. »
    « Cette norme personnaliste, dans son contenu négatif, constate que la personne est un bien ne s'accordant pas avec l'utilisation, ne pouvant être traité comme un objet de jouissance, partant comme un moyen. Parallèlement se déploie son contenu positif : la personne est un bien tel que seul l'amour peut dicter l'attitude appropriée et valable à son égard » Karole Wojtyla, Amour et responsabilité

 
 

 
 

A la une

Car tous ont péché...

La presse se fait l'écho d'un livre du journaliste Ekke Overbeek indiquant que Karol Wojtyła, futur Pape Jean-Paul II (et aujourd'hui Saint Jean-Paul II) aurait avant son élection pontificale, en tant qu'archevêque de Cracovie, eu connaissance de témoignages de faits de pédo-criminalité (la presse ne relaie ni le nombre ni la nature des faits) et n'aurait pas apporté la réponse appropriée (à savoir le signalement des faits aux autorités civiles et le déclenchement d'une enquête canonique aboutissant au renvoi à l'état laïc des malfaiteurs).