Je voudrais vous parler d'amour.. et de sexe
Comme disait un grand philosophe devant l'Eternel, "y'a pas que la messe dans la vie, y'a le sexe aussi". Marie-Paul Ross, religieuse et membre des Missionnaires de l'Immaculée Conception, l'a bien compris, puisqu'elle est aussi... sexologue. Elle publie ces jours-ci aux éditions Michel Lafon un livre, "Je voudrais vous parler d'amour.. et de sexe", qui saura à coup sûr faire parler de lui1.
Le développement de la personne, dans sa dimension érotique et sexuelle
Avant de devenir sexologue, Marie-Paul Ross a travaillé notamment en Amérique du Sud, où elle a vu les ravages de la pauvreté et du manque d'éducation, notamment - mais pas uniquement - d'éducation sexuelle : les hommes, laissés à l'oisiveté et baignés dans l'ignorance, y réduisaient les femmes à l'état d'objet sexuel.
C'est là la première intuition de Marie-Paul Ross : de la même manière que Jésus nourrissait les foules avant de leur parler, elle a compris que l'annonce de l'évangile ne pouvait se faire que dans le cadre d'un développement humain intégral. Elle a donc substitué les loisirs à l'oisiveté, la culture à l'ignorance, proposant des ateliers chorale comme des cours d'éducation sexuelle.
Une fois revenue au Canada, elle a lutté (contre les préjugés de ses supérieurs comme contre ceux de l'université) pour pouvoir se former en sexologie, formation poursuivie jusqu'à une thèse de doctorat consacrée à une vision de la sexologie liée à l'intégralité de la personne. De la qualité de ses travaux et de ses méthodes thérapeutiques, auxquelle elle consacre la seconde partie de son livre, je ne puis juger, n'étant ni psychiatre ni sexologue.
Les positions de Sr Marie-Paul Ross sur un certain nombre de sujets ne sont (à première vue ?) pas celles de l'institution : elle se montre favorable à une forme de contraception (mais pas n'importe laquelle, et surtout pas celle qui consiste à une manière pour les adultes de se défausser de l'éducation sexuelle de leurs enfants) et, dans certains cas, à la possibilité pour les femmes de choisir l'avortement (mais pas qu'il leur soit imposé pour masquer une situation d'inceste, par exemple, et sans en masquer les conséquences dramatiques).
Quand bien même la sexologue mentionne dans son livre que ce qu'elle a constaté en Amérique du Sud, elle a pu le voir sur les autres continents, ce n'est pas, je crois, édulcorer sa pensée que d'affirmer que ses positions sont tenues dans un contexte socio-culturel et une population donnés, et qu'elles procèdent en partie de la loi de gradualité2.
La misère sexuelle, une réalité vécue également dans le clergé
Outre donc des positions libérales qui ne peuvent se comprendre à Rome comme dans les jungles sud-américaines, un autre trait important qui transparait dans le livre et qui lui a attiré de nombreux soucis au cours des ans est sa volonté de dénoncer le manque de formation à l'amour et à la sexualité et, par conséquent, le manque de maturité sexuelle de nombreux clercs, qu'ils soient prêtres ou parfois évêques..
Il faut, pour rendre justice à Marie-Paul Ross, dire qu'on ne sent jamais d'animosité gratuite ni de volonté de nuire dans ses propos ; mais, au contraire, une farouche détermination, un désir inébranlable de proposer (dans un ton très libre) à l'Eglise dans la troisième partie de son ouvrage une vision renouvelée de la vocation au célibat.
Pour Sr Marie-Paul Ross, l'accomplissement de toute vocation au Célibat pour le Royaume comporte deux aspects : tout d'abord, un appel spécifique au célibat (indépendant de tout appel à un ministère) et une formation adaptée, notamment une vraie formation de l'affectivité et un affermissement du moi-érotique qui ne se limite pas à une séance en amphithéâtre sur l'affectivité et un cours d'anatomie sur polycopié.
Sur l'appel spécifique, elle s'invite notamment dans le débat sur l'obligation du célibat des prêtres, en appelant à admettre au sacerdoce diocésain des hommes mariés, tout en soulignant que ce n'est pas le célibat qui pose problème3, mais que celui doit être réservé à ceux qui s'en sentent la vocation spécifique, dans le cadre des communautés religieuses.
Le bilan qu'elle fait est sans concession.. puisque, selon elle, une majorité des personnes (clercs ou en couple) ont vécu un écart par rapport à leurs engagements, ou une difficulté d'ordre sexuel. Sans appuyer les chiffres avancés, il me faut bien reconnaître que j'ai vu de nombreux candidats au sacerdoce4 et prêtres qui présentaient manifestement un défaut de construction affective et sexuelle.
On n'est donc pas obligé de partager toutes les idées de Sr Marie-Paul Ross. Mais ce livre - qui évoque également, pêle-mêle, l'impact dramatique de la pornographie, l'entente sexuelle et affective du couple, le développement des adolescents, la masturbation, la sexualité des personnes handicapées, la contraception et l'avortement, et le drame de la pédophilie - mérite d'être lu avec attention5, en se laissant interpeller par l'expérience de cette religieuse sexologue.
- 1. et que j'ai pu découvrir grâce à @annecejuillet
- 2. qui conduitait Benoît XVI à affirmer de l'utilisation du préservatif qu'«Elle ne la considère pas comme une solution véritable et morale. Dans l'un et l'autre cas, dans l'intention de réduire le risque de contamination, l'utilisation d'un préservatif peut cependant constituer un premier pas sur le chemin d'une sexualité vécue autrement, une sexualité plus humaine»
- 3. "Que l'on ne vienne pas nous dire que le mariage des prêtres viendrait mettre un terme aux abus", page 211
- 4. Un nombre pas forcément plus élevé que dans le reste de la population, mais qui présente un danger particulier, vu la spécificité de cette vocation au célibat. Admettre aujourd'hui au célibat quelqu'un qui n'est pas équilibré ni formé est la meilleure manière d'avoir un scandale demain..
- 5. d'autant plus que sa lecture est très aisée !!