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L'homme de concupiscence

L'homme de concupiscence

Publié par Incarnare le mardi 25/08/2009 - 11:49

Selon Jean-Paul II1, c'est une déclaration de Saint-Jean2 qui résume le mieux la situation de l'homme historique :

  Tout ce qu'il y a dans le monde - les désirs égoïstes de la nature humaine, les désirs du regard, l'orgueil de la richesse - tout cela ne vient pas du Père, mais du monde. Or, le monde avec ses désirs est en train de disparaître. Mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure pour toujours.

Le Pape précise que le 'monde' qui contient ces trois types de convoitises- le désir égoïste, le désir du regard et l'orgueil de la richesse - ne s'identifie pas au monde créé, qui était "très bon", mais de la société, du monde que l'homme a déformé en enlevant l'amour qui faisait ses fondations.

 

De l'innocence à la concupiscence

Comment cette transition de l'innocence à la concupiscence s'opère t-elle ? Jean-Paul II invite à s'intéresser au moment clé que constitue le dialogue entre le serpent et la femme : ce dialogue commence par un mensonge3, mais intéressons-nous à l'apogée de ce dialogue. Le serpent parle4 :

Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal.

Le Pape porte notre attention sur le fait que "la motivation [du serpent] est le discrédit sur le Don et l'Amour qui est à l'origine du don de la création"5 En d'autres termes, le serpent dit ceci : "Dieu ne t'aime pas vraiment, il n'a pas réellement l'intention de te donner sa vie - en fait il veut spécifiquement t'en tenir écarté : si tu veux devenir comme lui, tu dois l'obtenir par toi-même.". 

L'homme doit faire un choix. Entre l'ouverture au don et la cupidité. St Maxime le Confesseur nous dit qu'il a voulu être comme Dieu, mais sans Dieu et avant Dieu mais non pas selon Dieu. Ll’homme s’est préféré lui-même à Dieu, et par là même, il a méprisé Dieu : il a fait choix de soi-même contre Dieu, contre les exigences de son état de créature et dès lors contre son propre bien. Constitué dans un état de sainteté, l’homme était destiné à être pleinement " divinisé " par Dieu dans la gloire.6

Nous sommes toujours tentés de nous saisir par nous-même de ce que Dieu veut nous donner ; et Dieu est là, appelant sans cesse "j'ai soif". Soif de toi. Entendons ce qu'il dit à la Samaritaine : « Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : 'Donne-moi à boire', c'est toi qui lui aurais demandé, et il t'aurait donné de l'eau vive. »7 « Frères, ayez entre vous les dispositions que l'on doit avoir dans le Christ Jésus: lui qui était dans la condition de Dieu, il n'a pas jugé bon de revendiquer son droit d'être traité à l'égal de Dieu »8.

Zoom...

Si l'on se souvient de ce qu'on a pu dire ici sur la signification profonde de la connaissance, on pose un regard très différent sur la phrase du serpent : "vous connaîtrez le bien et le mal". Adam connaissait déjà le bien, mais qui voudrait donc ainsi connaître le mal ? Non pas simplement théoriquement, connaître ce qui est bien et ce qui est mal, mais réellement épouser le mal ? Saisir le fruit défendu n'est pas une simple curiosité, mais un choix délibéré de vivre sans Dieu. 

 

La paternité de Dieu

Dans Franchir le seuil de l'espérance le Pape l'affirme avec force : "Voici la clé pour interpréter la réalité [...]: le péché originel tente de détruire la paternité".

Nous comprenons maintenant mieux la prière que Jésus nous a enseigné : "Notre Père". Elle est la réponse au tentateur : Notre Père, que to nom soit sanctifié ! Face à la tentation de partir loin de Dieu, le premier homme et la première femme auraient dû répondre : Que le règne de Dieu vienne et que Sa volonté soit faite sur cette terre comme au ciel ! Face à la tentation de vivre par et pour eux-mêmes, il auraient dû répondre : Dieu va nous donner notre pain de ce jour : nul besoin de s'en saisir ! En définitive dans cette bataille avec l'Anti-Verbe, ils auraient dû appeler Dieu :Garde-nous de la tentation et délivre-nous de celui qui veut le mal.
Peut-être comprenons-nous mieux quand le Catéchisme nous dit que le Notre Père résume tout l'Évangile9.

 

L'irruption de la honte

Satan avait promis à Adam et Ève de leur rendre la vue, leur suggérant ainsi que Dieu les avait créés aveugles. Lorsqu'ils ont trahi la confiance de Dieu, leurs yeux s'ouvrent bel et bien mais ils réalisent que Dieu ne les avait pas dupés, que leur corps reflétait bel et bien leur appel à vivre de la vie divine. 

Ils réalisent qu'ils ont préféré vivre sans Dieu qui les a créés par son amour infini. Et ils en ont honte. Leur corps est pour eux un rappel qu'ils se sont séparés de Dieu. Ils n'ont pas honte tant de leur corps que de la concupiscence10 (ie. de la cupidité) La différence sexuelle, qui souligne la polarité spirituel/sensible d'une manière particulière, est mise en accusation maintenant que le divorce entre le corps et l'âme est consommé : presque toujours, la honte que l'homme éprouve face à la différence sexuelle cache en fait une excuse pour ne affronter le désordre de son coeur cupide. 

La concupiscence correspond au désir sexuel ex-pirant (hors de l'esprit), le désir qui n'est plus in-spiré par la grâce, et ainsi vire à la convoitise : l'homme cupide traite ainsi l'autre comme un objet pour sa propre gratification, ou s'aime si peu qu'il veut s'annihiler en devant objet pour l'autre.

Pour l'homme historique la concupiscence s'exprime sous deux formes :

  • Tout d'abord, comme une prédisposition résultant du péché originel. Ce désordre qui habite le coeur de l'homme - s'il vient du péché et entraîne au péché - n'est pas un péché en soi, dans la mesure où le péché suppose l'intervention de la volonté. 
  • C'est la deuxième forme de la concupiscence : nous cédons à cette prédisposition et de vivre cette convoitise.

Si cette concupiscence est une donnée de l'homme historique, est-elle pour autant une fatalité ? Non ! Jean-Paul II le crie avec force : le Christ nous a rédimés ! et s'il l'homme racheté pèche encore ce n'est pas que la rédemption est imparfaite mais que la volonté de l'homme ne se rend pas disponible à la grâce11

 

L'expérience de la honte

Imaginez un navigateur qui, ayant voulu tester les possibilités de son navire contre les instructions de son concepteur alors qu'il n'y était pas encore près, déchire sa voile : quelle doit être sa déception, quel choc ! L'expérience de la navigation change du tout au tout. Le Pape nous dit que cela a dû secouer les fondements de leur existence toute entière12 !

 Le Seigneur Dieu appela l'homme et lui dit : « Où es-tu donc ? » L'homme répondit : « Je t'ai entendu dans le jardin, j'ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché. »

L'homme n'a pas peur tant de sa nudité que du regard de Dieu. Ayant déjà douté de l'Amour de Dieu, il doute de sa miséricorde (en se cachant) et de sa justice (en accusant la femme).13. L'amour de Dieu et l'amour du prochain sont liés par la signification de notre corps.14.

La honte est immanente, en ce sens qu'elle est liée dans un premier temps à la conscience de l'unité perdue entre le corps et l'âme et de la difficulté d'accepter son corps pour ensuite entrer en relation.
Elle est aussi relationnelle dans la mesure où elle manifeste la conscience de ne pas respecter l'autre dans la dignité de sa personne ou de n'être point ainsi respecté(e) par lui ou elle. 

La honte et la convoitise s'expliquent mutuellement : la convoitise crée la honte et la honte explique la convoitise en révélant la blessure créée par la convoitise à la fois dans la personne qui convoite (immanent) et dans la personne convoitée (relationnel).
Ceci nous permet de comprendre pourquoi et dans quel sens le Christ qualifie la convoitise d'adultère du coeur. L'adultère est par essence anticonjugal ; Il en est de même pour la convoitise. L'adultère est contraire à la dignité et à la valeur intrinsèque de la personne ; Il en est de même pour la convoitise. L'adultère est un contre-témoignage à la communion d'amour de la Trinité ; Il en est de même pour la convoitise.

 

Une expérience différenciée de la honte

Les hommes et les femmes ressentent généralement de manière différente le desordre qui nous habite tous : chez les hommes, ce désir-convoitise est tourné vers la gratification physique aux dépends de la femme ; chez la femme, le désir-gratification est tourné vers la gratification émotionnelle aux dépends de l'homme. D'où le dicton qui dit que l'homme utilise l'amour pour avoir le sexe tandis que la femme utilise le sexe pour avoir l'amour.

La connaissance de l'autre comporte les deux dimensions - intimité émotionnelle et don physique - mais nous n'entrons pas dans les deux dimensions au même rythme, au même tempo.. La femme a également un désir physique comme l'homme un désir émotionnel. Accepter cette différence de tempo est nécessaire pour que l'union soit réellement communion et qu'elle respecte et implique réellement chaque personne. Cela ne peut se faire qu'en vivant la dynamique de don et de réceptivité au don, à l'exclusion de toute avidité et de volonté de se saisir de l'autre avant qu'il ne se donne. 

Ainsi la dimension protective - et positive - de la honte, que l'on peut appeler "modestie" s'exprime différemment pour chacun :

  • L'homme doit être attentif au fait que la femme cherche en premier lieu une intimité émotionnelle et ne pas poser prématurément des gestes d'affection déconnectés de sa vie émotionnelle - donc des contrefaçons d'affection - dans le but d'obtenir une gratification physique immédiate. Il doit veiller à ce que son côté "romantique" ne l'idéalise pas trop et qu'elle se donne bien à Lui et non à une personne idéalisée et désincarnée en adoptant une modestie émotionnelle et en lui permettant de le découvrir sans adopter des clichés émotionnels. 
  • La femme doit être attentive au femme que l'homme cherche en premier lieu une intimité physique et ne pas poser prématurément des gestes sexuels déconnectés de son désir de se donner physiquement - donc des contrefaçons de don sexuel - dans le but d'obtenir une gratification émotionnelle immédiate. Elle doit veiller à ce que sa libido ne le conduise pas à la réduire à son physique et qu'il se donne bien à Elle et non à un corps anonymisé et caricaturé, en adoptant une modestie physique qui lui permette de la découvrir dans sa singularité sans la réduire à des clichés physiques. 

Comprendre cette dimension positive de la honte nous permet de réaliser que la convoitise n'est pas l'essence du coeur humain.

 

La soif inextingible

Jean-Paul II affirme que l'homme et la femme sont appelés de toute éternité à la communion15. Nous désirons toujours la communion après la péché orginel. Cependant nous ressentons que nous ne parvenons pas à satisfaire notre désir d'atteindre dans l'union conjugale du corps [...] la communion réciproque des personnes16 : la convoitise ne satisfait jamais notre désir d'amour

Cette 'seconde expérience' de la sexualité diffère grandement de la première dans la mesure où la communion n'est plus immédiate : on n'est plus homme et femme mais homme ou femme voire homme contre femme ; de plus, en raison de notre séparation de l'amour, notre sexualité est devenue objectivée : il devient difficile pour chacun de s'identifier à son corps. Le corps ne révélant plus la personne de manière aussi évidente, un manque de confiance apparaît qui crée des attitudes de honte protectrice, d'autoconservation qui - si elles ont une dimension positive - sont toutefois des obstacles à un don sincère et total de sa propre personne.

 

La femme, première victime du péché

Dans l'histoire humaine, la femme a bien souvent payé le lourd prix de l'incapacité de l'homme à se donner et recevoir le don - sa convoitise. Cette réalité - qui n'est pas dans la nature des choses mais due au péché - est contenue dans cette parole de la Genèse :

  Le désir te portera vers ton mari, et celui-ci dominera sur toi.17

Encore une fois, ce constat n'est pas une sentence de Dieu (et ne peut aucunement servir de justification à une quelconque attitude sexiste) mais une description de l'impact particulier du péché sur les femmes, par la distorsion du rapport homme / femme. Cette tendance est manifestée à divers degrés dans les différentes cultures et porte un nom : la mysoginie. Cette domination de l'homme est contraire au plan de Dieu et est un résultat spécifique du péché originel.

A cause du péché, le masculin -initateur du don - est perçu comme tyrannique ; la grande bénédiction de la féminité - la fécondité et la capacité à donner la vie - est également devenu pour beaucoup de femmes une malédiction. 

Face à un male-tyran et une discrimination perpétuelle dans l'histoire, la femme est à son tour tentée pour survivre de rejeter sa €propre féminité et de s'adjuger cette masculinité dévoyée. N'est-ce pas là la motivation de nombre de mouvements féministes ? Si ces mouvements ont des qualités évidentes, ils ont aussi des défauts qui ont conduit Jean-Paul II à les exhorter à développer un féminisme qui promeuve le génie spécifique de la femme. 

Si la distorsion du péché peut conduire l'homme à nier la dignité de la femme et à l'utiliser, cette distorsion peut conduire la femme à nier sa propre dignité et à accepter d'être utilisée. Elle peut aussi jouer avec le désir de l'homme et ensuite la manipuler également, en niant sa dignité propre.

 

L'état de notre coeur influence la manière dont nous vivons notre corps

Plus l'homme historique considère comme normale l'expérience déchue de son corps et de sa sexualité, plus les enseignements de l'Église lui semblent abstraits et déconnectés de "la vraie vie".

Dans le Sermon sur la Montagne, le Christ fait référence spécifiquement à l'expérience de l'homme historique. Il n'y a rien d'abstrait dans le fait de "regarder avec convoitise". Nous savons tous immédiatement ce que cela signifie dans notre propre expérience, dans notre coeur.

Si nous comparons notre expérience à notre vocation originelle, nous pouvons avoir trois attitudes :

  • Normaliser le péché, c'est à dire renoncer à notre vocation en prétendant qu'elle n'est pas aussi belle que la Théologie du Corps le proclame
  • Perdre toute espérance, en considérant que nous n'y arriverons jamais, tant la distance qui nous sépare du but est grande
  • Nous tourner vers le Christ qui n'est pas venu pour nous condamner, mais pour nous sauver 18

Les mots du Christ ne sont pas des sentences ; ils sont un appel à laisser un nouvel ethos de la rédemption transformer nos coeurs pleins de convoitise.

Un danger est de s'habituer au péché. Nous pouvons ainsi penser qu'il est dans notre nature. La théologie catholique de la "chute" se dissocie ici de la théologie protestante de la "dépravation" : mourir à soi-même n'implique pas en catholicisme une modificaiton de la nature de la personne (créée bonne) mais sa rédemption.

Nous devons être conscient que la concupiscence prend parfois les habits de l'amour et discerner les mouvements de notre coeur. 

Un effet social de cette habituation au péché est la modification de la notion de beauté : auparavant définie comme la capacité du corps à exprimer la personne, la beauté est aujourd'hui pour beaucoup liée aux attributs du corps capables de satisfaire ou d'éveiller la concupiscence.

S'il peut, dans un premier temps, être nécessaire de passer par une phase de contrôle de ses passions sur le mode de la contrainte, le Christ nous appelle à progresser dans la liberté, à ne pas simplement satisfaire nos désirs mais à les combler et pour cela les purifier. Quelqu'un qui ne se contrôle pas va en effet naturellement tendre à vouloir contrôler autrui et ainsi nier le mystère de leur personne. Cette croissance dans la révérence de son corps est un chemin de sainteté, que le monde ne peut pas offrir..

 
 

 

A la une

Car tous ont péché...

La presse se fait l'écho d'un livre du journaliste Ekke Overbeek indiquant que Karol Wojtyła, futur Pape Jean-Paul II (et aujourd'hui Saint Jean-Paul II) aurait avant son élection pontificale, en tant qu'archevêque de Cracovie, eu connaissance de témoignages de faits de pédo-criminalité (la presse ne relaie ni le nombre ni la nature des faits) et n'aurait pas apporté la réponse appropriée (à savoir le signalement des faits aux autorités civiles et le déclenchement d'une enquête canonique aboutissant au renvoi à l'état laïc des malfaiteurs).