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Sex And The (Holy) City

Sex And The (Holy) City

Benoît XVI, dans son livre attendu d'entretiens avec Peter Seewald, affirme (selon la traduction du Figaro) que « dans certains cas, quand l'intention est de réduire le risque de contamination, [l'utilisation d'un préservatif] peut être un premier pas pour ouvrir la voie à une sexualité plus humaine, vécue autrement ». Pour illustrer son propos, le pape donne même un exemple, nous dit toujours le Figaro, celui d'un homme prostitué, considérant que « cela peut être un premier pas vers une moralisation, un début de responsabilité permettant de prendre à nouveau conscience que tout n'est pas permis et que l'on ne peut pas faire tout ce que l'on veut ».

La presse, quasi-unanime, voit dans ses propos un retournement idéologique, presque une contrition du Pontife de la polémique suscitée par ses propos à ce sujet en 2009. Benoît XVI serait-il soudainement devenu pote de la capote ? Le Pontifex Maximus se serait-il changé en Latex Maximus ? Le Fig' présente Benoît XVI comme ouvrant une brèche dans la citadelle vaticane... Alors, nouvel épisode, tournant déterminant, dans la saga Sex and the (Holy) City ?

En réalité, rien de neuf sous le soleil ; mais une clarification de l'existant (ce qui n'est pas du luxe). 

Note préalable à ce billet : si vous êtes catholique et/ou que vous avez fait l'effort de découvrir la position de l'Eglise sur ces questions, il est probable que vous n'apprendrez rien dans ce qui va suivre. Si ce qui suit ne vous dit rien, nul ne vous demande d'y adhérer personnellement aujourd'hui ; il me semble important cependant que vous ayiez ces clefs de compréhension la prochaine fois que vous entendrez le Pape s'exprimer sur ce sujet.

 

L'« humanisation » de la sexualité humaine, clef de lecture de l'interview du Pape

Dès Humanae Vitae, « l’Église n’estime nullement illicite l’usage des moyens thérapeutiques vraiment nécessaires pour soigner des maladies de l’organisme, même si l’on prévoit qu’il en résultera un empêchement à la procréation, pourvu que cet empêchement ne soit pas, pour quelque motif que ce soit, directement voulu ». En 1968, le Sida n'existait pas encore, mais les bases étaient déjà posées. Depuis, comme le montre Isabelle de Gaulmyn dans son excellent billet, des archevêques avaient pris position pour un usage du préservatif lorsqu'un des partenaires est malade. 

Pour Benoît XVI, une polarisation sur la seule question du préservatif est dangereuse, comme il l'a dit en 2009 (mais j'y reviens plus bas), car elle fait perdre de vue la finalité de la sexualité, qu'est l'amour. Mettre une capote sur cette question (le discours néo-soixanthuitard couchez avec qui vous voulez et avec le nombre de partenaires que vous voulez, mais mettez une capote) éloigne du sens de l'amour. Elle rend aveugle au don total de soi.

Alors qu'a fait le Pape ? Il a ré-affirmé que la loi est faite pour bénir l'homme, pour le guider vers l'amour, et non pour l'anéantir. Il a appliqué ce que l'Eglise appelle la loi de gradualité (très bon billet de Nicolas Mathey à ce sujet) qui, sans vendre un bonheur au rabais, sans condescendance, prend en compte le fait que la vie d'une personne humaine ressemble plus à un film qu'à une photo, que chacun vit un chemin de maturité1

L'exemple du jeune prostitué est parfaitement choisi : la prostitution, qui brade les corps et détruit les personnes, est mauvaise en soi. Cependant, pour qui ne verrait pas d'autre issue à court terme, cette protection est légitime ; et on peut supposer que ce jeune n'en est pas à réfléchir sur la nature du don dans la relation sexuelle avec ou sans préservatif. Cela n'empêche qu'il est appelé comme chacun à l'amour vrai, au don de sa vie. 

Ainsi le Pape n'a pas révolutionné la position de l'Église, il l'a explicitée. Les médias découvrent, ahuris, que ces catholiques qui distribuaient (responsablement, et pas comme unique réponse) des préservatifs en Afrique ne sont pas ces résistants qu'on a bien voulu décrire, mais qu'ils appliquaient en fait strictement cette loi de gradualité. Ils auraient pu s'en douter en voyant que l'Eglise promouvait les programmes ABC (Abstain and Be faithful, and if not use Condoms), mais ils préféraient une voir une contradiction. On est prompt à voir des contradictions dans un discours dont on n'a pas perçu la finesse.

Il est étonnant que cette position soit inaudible, surtout à gauche, puisqu'elle est d'une grande similarité avec un autre débat contemporain, la distribution de seringues stériles aux drogués. Comment préserver la vie sans légitimer sa destruction à petit feu ?

 

Quid des propos du Pape de 2009 ? la question épidémiologique

Le Pape s'est-il renié ? Ca arrangerait une certaine presse, qui exigeait sa contrition immédiate et son autoflagellation en place publique. Mais Benoît XVI évoque dans cet entretien la morale personnelle, et non les campagnes anti-épidémiologiques et les deux positions ne sont pas incompatibles, loin s'en faut.

L'Eglise croit que la solution aux épidémies ne peut se trouver dans le seul recours au préservatif. Sans l'exclure absolument (comme le montrent les programmes ABC, qu'elle promeut depuis longtemps), elle insiste sur une pédagogie de l'amour, fondée sur la fidélité2.

Les faits lui donnent raison : le préservatif est largement accessible et pourtant l'épidémie progresse. Sans invoquer l'argument de la porosité (démontré comme faux depuis), il faut reconnaître que l'efficacité du préservatif dans des conditions réelles (et ça inclut des usages inappropriés) est loin de 100%3.

 

Idée reçue : les propos du Pape ouvriraient la voie à la légitimité du préservatif comme moyen de contraception.

Je crois que nombre de journalistes sont de bonne foi et qu'ils pèchent (pour ainsi dire) par manque de compréhension, en confondant des notions proches mais distinctes. La question du préservatif n'est, certes, pas aisée à traiter, car elle mêle la question de la contraception et celle de la protection de MST.

De plus, certains lobbies - comme le Planning Familal - ne les aident pas, en lançant périodiquement des assauts contre le vocabulaire, en noyant par exemple tout différence conceptuelle dans une grande soupe sémantique. C'est vrai pour la santé reproductive (terme chéri de l'ONU, dont le sens évolue à chaque conférence) et du mot contraception, qui prend de multiples sens. Ce paragraphe de l'article du Figaro l'illustre bien :

Jusqu'ici le Vatican, opposé à toute forme de contraception autre que l'abstinence, réprouvait l'usage du préservatif même pour prévenir la transmission de maladies.

Si l'on lit ce paragraphe, on pourrait comprendre que

1. l'Église serait favorable à une forme de contraception
2. l'abstinence serait une forme de contraception admise par l'Eglise
3. pour une raison obscure dont rien est dit, elle refuserait toutes les autres.

La position de l'Église est toute autre !

1. si par contraception, on entend "opposition délibérée à la possibilité d'une vie nouvelle dans la relation sexuelle", alors l'Église est et reste 100% contre. En revanche, elle reconnaît légitime la régulation des naissances c'est à dire de retarder l'arrivée d'un enfant, eût égard aux conditions matérielles4 ou familiales. Pour caricaturer, un couple qui s'abstiendrait d'activité sexuelle toute sa vie, dans un refus d'avoir des enfants, serait très loin de vivre l'idéal proposé par l'Église !
2. pour l'Église, l'abstinence n'est pas une forme de contraception, car elle ne change pas la signification de la relation sexuelle.

 

L'Église parle t-elle trop de sexualité ? 

Beaucoup reprochent au Pape et à l'Église de parler trop de morale sexuelle. Mgr Anatrella avait fait les comptes et montré qu'elle tenait 9% du discours de l'Église (mais peut être 90% de ce que les médias en rapportent).

A comparer avec l'importance que la sexualité prend dans nos vies. Indépendamment de la légende urbaine (?) qui dit qu'un homme y penserait toutes les 30s, observons son omniprésence dans les médias, dans la pub, etc.. et constatons que ce n'est pas toujours avec un regard très éclairé ou éclairant.

 

(Note : ce billet tire son nom d'un reportage diffusé sur la BBC en 2003. Clairement à charge contre l'Eglise, ce document tronquait en trois fois trente secondes plus d'une heure d'entretien avec le Cardinal Trujillo)

  • 1. Quitte à filer la métaphore cinématographique, et pour faire plaisir à mes amis de frogsandinklings.fr disons juste que l'Eglise - à la suite du Christ - voit dans chaque Golum le Sméagol qu'il est appelé à redevenir, et considère comme Frodon qu'il ne vaut mieux pas tuer Golum.. quand bien même de nombreux Sam plaident pour plus d'intransigeance...
  • 2. en termes épidémiologiques, la relation monogame exclusive
  • 3. L'étude de référence sur laquelle l'Eglise s'appuyait pour cette donnée, et qu'on peut exonérer du soupçon de partialité en faveur de celle-ci, puisqu'elle a été publiée dans Family Planning Perspectives, est celle de Davis & Weller, qui citait un taux d'efficacité de 85%
  • 4. à condition que ce ne soit pas par égoïsme, par une peur chronique de manquer, etc.

 
 

 
 

A la une

Car tous ont péché...

La presse se fait l'écho d'un livre du journaliste Ekke Overbeek indiquant que Karol Wojtyła, futur Pape Jean-Paul II (et aujourd'hui Saint Jean-Paul II) aurait avant son élection pontificale, en tant qu'archevêque de Cracovie, eu connaissance de témoignages de faits de pédo-criminalité (la presse ne relaie ni le nombre ni la nature des faits) et n'aurait pas apporté la réponse appropriée (à savoir le signalement des faits aux autorités civiles et le déclenchement d'une enquête canonique aboutissant au renvoi à l'état laïc des malfaiteurs).