Qu'est ce que la théologie du corps ?

La "Théologie du Corps" est la vision intégrale de la personne humaine - corps, âme et esprit - développée par le Pape Jean Paul II. Comme il l'explique, le corps humain a une signification précise ; il porte des réponses aux questions les plus essentielles de notre existence :

  • La vie a t-elle un sens et, si oui, quel est-il ? 
  • Pourquoi avons-nous été créés homme et femme ? que nous soyons de l'un ou l'autre sexe importe t-il vraiment ? 
  • Pourquoi l'homme et la femme étaient-ils, au commencement, appelés à la communion ? Qu'est-ce que l'union conjugale d'un homme et d'une femme dit de Dieu et de son plan pour notre vie ?
  • Quel est le sens des vocations au mariage et au célibat ? 
  • Qu'est-ce qu'aimer ? 
  • Est-il vraiment possible d'être des "coeurs purs" ?

Les catéchèses du mercredi

Jean-Paul II a consacré 129 catéchèses du mercredi, entre 1979 et 1984, à répondre à ces questions et de nombreuses autres. Ses réflexions s'appuient fortement sur les Écritures, principalement sur les Évangiles, les lettres de Saint-Paul et la Genèse.

Elles développent une vision de l'homme vraiment positive - loin du manichéisme ou de la crainte du corps que la société prête parfois, à tort, à l'Église. Pour cela, Jean-Paul II évoque l'homme originel, "au commencement", tel qu'il a été créé et voulu par Dieu, avant de décrire l'homme tel qu'il est aujourd'hui, après le "péché originel", et le plan de Dieu pour son avenir. Il montre ensuite comment les vocations du mariage et du célibat éclairent notre identité et notre appel à vivre de l'amour de Dieu.

Ce site web

George Weigel, biographe de Jean-Paul II, a qualifié ces enseignements datant du début de son pontificat de "bombe à retardement théologique", affirmant qu'ils portent le changement théologique le plus profond que l'Église ait connu depuis des siècles sur "chacun des thèmes majeurs du Credo". 

Cependant, cet enseignement est encore peu connu : pensée dense et souvent mal traduite, elle ne fait l'objet que de peu de commentaires en langue française. Sans avoir l'ambition d'en faire un commentaire exhaustif, ce site web a pour objectif de faire connaître et de promouvoir les enseignements du Pape, dans un langage le plus clair et accessible possible.

Si les répercussions théologiques sont importantes, elles ne sont pas l'essentiel : cette parole peut marquer chacun de nous, aujourd'hui. Loin d'être accessoire dans nos vies, la manière dont nous comprenons et vivons la corporéité et la sexualité est "au coeur de toute la Bible". Elle nous entraîne dans la "perspective de l'évangile, de l'enseignement et de la mission du Christ tout entiers" : cette mission, selon Jean-Paul II, est de "se marier" avec nous, de nous faire entraîner dans une union d'amour éternelle avec le Père.

L'union sexuelle proclame et préfigure l'union du Christ et l'Église. En rétablissant le lien entre la sexualité et le mystère chrétien, Jean-Paul II ne se contente pas d'ouvrir des nouvelles perspectives pour le mariage et la famille, mais permet à chacun de redécouvrir le sens de notre existence entière, le sens de notre vie.

- Théologie du corps - catéchèse
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Introduction à la théologie du corps

"Le corps, et lui seul, est capable de rendre visible l'invisible : le spirituel et le divin. Il a été créé pour amener dans la réalité visible du monde le mystère caché de toute éternité en Dieu, et ainsi en être le signe."
— Jean-Paul II, Audience du 20 février 1980, TDC 19,4

Cette citation est la thèse soutenue Jean-Paul II dans ces catéchèses. Le corps nous permet non seulement de voir quelque chose de ce mystère invisible, mais également d'y entrer, d'y participer, de le goûter.

Le corps est un antidote à l'abstraction spirituelle : nous sommes tous tentés de voir Dieu comme un concept, une idée théologique, ou de considérer l'experience de la foi comme exclusivement spirituelle et déconnectée de toute expérience concrète. Le Dieu que révèle la Bible n'est pas un concept : c'est une communion éternelle de trois Personnes divines, dont l'une a demeuré parmi nous dans la chair.

Jean-Paul II l'affirme1 : "lorsque le Verbe s'est fait chair, le corps est entré dans la théologie par la grande porte". Nos questions sur le sens du corps humain nous entraînent sur une route qui nous mène de l'union sexuelle à l'union du Christ et de l'Eglise, puis dans le mystère de la Trinité. 

Sur cette route, nombreux sont les obstacles : nos tabous et nos craintes face au mystère de notre corporéité, homme et femme, peuvent aisément nous faire dérailler. L'ennemi ne cesse de nier la réalité de l'incarnation2. Face à tant d'obstacles, il est compréhensible que l'histoire du corps en théologie ait un passé mouvementé... Si un certain nombre de penseurs chrétiens ont contribué de manière décisive à comprendre de manière juste la beauté du corps humain, on peut trouver dans les écrits d'autres homme d'église ce qui peut apparaître comme une suspicion à l'égard du corps.

La Théologie du Corps de Jean-Paul II, en s'appuyant sur les saines fondations du passé - notamment dans la tradition mystique - rejette et corrige clairement cette suspicion. Preuve de la difficulté de l'exercice : il a fallu 2000 ans à l'Église pour parvenir à formuler intégralement cette théologie.

Aujourd'hui, cette route en est à une étape cruciale : la modernité, qui a conduit la culture occidentale à placer au début du vingtième siècle son espérance dans le progrès technique infini et dans sa suprématie sur l'exigence de sens, a rapidement échoué, produisant les régimes les plus meurtriers de l'histoire ; l'exigence de subjectivité, inhérente à une pensée fortement marquée par le "je pense donc je suis", s'est heurtée à une expression trop objective de la morale chrétienne, entraînant un rejet de celle-ci : la révolution sexuelle, au-delà de la liberté immédiate qu'elle a apporté, a induit l'idée du corps-objet, dont les ravages sont sans doute plus durs encore.
Ce tableau noir ne doit cependant pas être une cause de pessimisme : mais "c'est là un sentiment injustifié: nous avons foi en Dieu, Père et Seigneur, en sa bonté et en sa miséricorde. Alors que nous sommes proches du troisième millénaire de la Rédemption, Dieu est en train de préparer pour le christianisme un grand printemps que l'on voit déjà poindre."3 Jean-Paul II invite à "franchir le seuil de l'espérance".

 

  • 1. Audience du 2 avril 1980, TDC23,4
  • 2. 1Jn 4,2-3: "Voici comment vous saurez si l'Esprit de Dieu les inspire : tout inspiré qui proclame que Jésus Christ est venu parmi nous dans la chair, celui-là appartient à Dieu. Tout inspiré qui refuse de proclamer Jésus, celui-là n'appartient pas à Dieu : il a l'esprit de l'Anti-Christ, dont on vous a annoncé la venue et qui est dans le monde dès maintenant."
  • 3. Redemptoris Missio, 86
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La "Théologie du Corps" ?

Les Catéchèses du mercredi

Initialement conçues par Karol Wojtila comme un livre, la "Théologie du Corps" a providentiellement trouvé un statut nouveau et une audience nouvelle du fait de l'élection comme Pape. Jean-Paul II a souhaité en faire véritablement le socle de son pontificat en y consacrant les audiences du mercredi pendant près de cinq ans !

Le terme de "Catéchèse" peut évoquer pour certain une instruction destinée aux enfants. En réalité, il vient du grec katekhein qui signifie 'faire résonner la Parole'. Le but de la catéchèse n'est pas d'acquérir des connaissances ; elle vise à nous faire entrer dans une plus grande intimité avec la Personne du Christ. Le Concile de Vatican II a d'ailleurs insisté sur la place que les évêques doivent y accorder1.

 

La Crise du Corps

Jean-Paul II a considéré que l'un des chantiers les plus urgents de son pontificat était de restaurer dans les hommes et les femmes le sens de leur corporéité. Les pèlerins présents ont fait montre de leur étonnement : les catéchèses ne sont-elles pas censées évoquer des sujets plus 'spirituels'

C'est en fait une telle conception achrétienne de la spiritualité que Jean-Paul II vise par ces enseignements : l'occident est en effet contaminé par le divorce cartésien entre le corps et l'âme :

"Malheureusement, la pensée occidentale, avec le développement du rationalisme moderne, s'est peu à peu éloignée de cet enseignement. Le philosophe qui a énoncé le principe du « cogito, ergo sum », « je pense, donc je suis », a aussi imprimé à la conception moderne de l'homme le caractère dualiste qui la distingue. C'est le propre du rationalisme d'opposer chez l'homme, de manière radicale, l'esprit au corps, et le corps à l'esprit. Au contraire, l'homme est une personne dans l'unité de son corps et de son esprit [...] La séparation de l'esprit et du corps dans l'homme a eu pour conséquence l'affermissement de la tendance à traiter le corps humain non selon les catégories de sa ressemblance spécifique avec Dieu, mais selon celles de sa ressemblance avec tous les autres corps présents dans la nature, corps que l'homme utilise comme matériel pour son activité en vue de la production des biens de consommation. Mais tous peuvent immédiatement comprendre que l'application à l'homme de tels critères cache en réalité d'énormes dangers. Lorsque le corps humain [...] est utilisé comme matériel au même titre que le corps des animaux [...] on va inévitablement vers une terrible dérive éthique.2

Le problème du culte du corps actuel n'est pas qu'il accorde trop de valeur au corps, mais qu'il n'en accorde pas assez ! Il rejoint en effet - parfois dans l'esprit de certains chrétiens - une vieille hérésie déjà condamnée par l'Eglise, le manichéisme, qui affirme que l'esprit serait la partie digne de la personne, le corps en étant la partie indigne. Jean-Paul II poursuit :

Devant une pareille perspective anthropologique, la famille humaine en arrive à vivre l'expérience d'un nouveau manichéisme, dans lequel le corps et l'esprit sont radicalement mis en opposition : le corps ne vit pas de l'esprit, et l'esprit ne vivifie pas le corps. Ainsi, l'homme cesse de vivre comme personne et comme sujet. Malgré les intentions et les déclarations contraires, il devient exclusivement un objet. Dans ce sens, par exemple, cette civilisation néo-manichéenne porte à considérer la sexualité humaine plus comme un terrain de manipulations et d'exploitation que comme la réalité de cet étonnement originel qui, au matin de la création, pousse Adam à s'écrier à la vue d'Eve : « C'est l'os de mes os et la chair de ma chair » (Gn 2, 23). C'est l'étonnement dont on perçoit l'écho dans les paroles du Cantique des Cantiques : « Tu me fais perdre le sens, ma sœur, ô fiancée, tu me fais perdre le sens par un seul de tes regards » (Ct 4, 9). Comme certaines conceptions modernes sont loin de la compréhension profonde de la masculinité et de la féminité offerte par la Révélation divine ! Cette dernière nous fait découvrir dans la sexualité humaine une richesse de la personne qui trouve sa véritable mise en valeur dans la famille et qui exprime aussi sa vocation profonde dans la virginité et dans le célibat pour le Règne de Dieu.

Nous sommes faits à l'image et à la ressemblance de Dieu, affirme la Bible.. cependant, nous perdons de vue ce fait, pour nous attacher à notre similarité aux animaux. En déshumanisant ainsi le corps, nous le réifions, le dominons et l'exploitons. L'expression principale de la corporéité étant la sexualité, c'est celle-ci qui subit une blessure profonde. 

Pour dépasser cette vision du corps, nous devons retrouver l'émerveillement originel qu'inspirait à Adam la vue du corps humain. Nous devons reconnaître le trésor que constitue la sexualité en ce qu'elle est un signe de notre ressemblance à Dieu et un appel à vivre à l'image de Dieu dans le don sincère de soi. C'est le but de la Théologie du Corps de Jean-Paul II.

L'Évangile du Corps

La Théologie du Corps est plus qu'une catéchèse sur l'amour et la sexualité : c'est une réponse, non seulement à la révolution sexuelle, mais aussi aux Lumières, au dualisme cartésien et aux anthropologies désincarnées qui se répandent.

Du début à la fin, ces catéchèses appellent à rencontrer le Christ vivant et incarné, et à comprendre comment son corps nou revèle le sens de nos corps. Le Concile Vatican II le résume ainsi :

En réalité, le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe Incarné. Adam, en effet, le premier homme, était la figure de Celui qui devait venir le Christ Seigneur. Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation.3

Le corps du Christ proclame l'évangile du corps : le Verbe n'a pas choisi d'être un "pur esprit". Il s'est incarné dans le corps d'une femme vierge, a voulu être baptisé dans le Jourdain, est transfiguré sur la montagne, a guéri les malades et pris soin des foules qui avaient faim, avant de livrer son corps pour souffrir sa passion.

Nous sommes appelés à partager la vie divine : c'est même le but de notre création4 Nous sommes appelés à l'union avec le Dieu qui a pris chair. Car l'union de l'homme et de la femme en une chair est un "grand mystère" qui, dès le début de la Genèse, signifie et préfigure l'union du Christ et de l'Église5. Ceci est une bonne nouvelle, l'Évangile du Corps

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Le corps, théologique ?

Le Corps, sacrement

Lorsque l'on nous dit 'théologie', peu d'entre nous pense 'corps' ; à l'inverse lorsque l'on parle du corps, nous ne faisons pas nécessairement le lien avec Dieu. L'expression 'Théologie du Corps' peut ainsi sembler une construction artificielle entre deux réalités qui n'ont rien à voir. 

Cela démontre à quel point la vision du monde cartésienne s'est ancrée dans nos esprits et comment nous nous sommes éloignés d'une vision véritablement chrétienne (ie. qui prend en compte l'incarnation) du monde. Saint-Paul nous dit clairement à quel point ces deux réalités sont liées : "Le corps est [...] pour le Seigneur Jésus, et le Seigneur est pour le corps"1

En effet, nous ne pouvons voir Dieu ; cependant, le Verbe (Logos) s'est fait chair et il a habité parmi nous2 et ainsi s'est rendu visible. Le Catéchisme de l'Eglise Catholique affirme que dans le corps de Jésus, " Dieu qui est par nature invisible est devenu visible à nos yeux "3

Rendre visible l'invisible, c'est ce que Jean-Paul II entend par 'sacrement' (dans un sens plus large que les 7 sacrements) : le corps humain est sacrement de la personne dans la mesure où il indique qu'il y a chez lui plus que chez les animaux ; le corps du Christ est sacrement de la personne divine.4

Ainsi le corps humain n'est pas seulement biologique, mais également théologique. Une vision qui considérerait que le corps n'est qu'un point de référence biologique empêche de comprendre et de vivre la sexualité dans sa signification complète.

Selon le Pape, seul le corps est capable de rendre visible l'invisible. Contrairement à l'idée largement répandue (même chez les catholiques, malgré son caractère complètement hérétique), la personne humaine n'est pas un esprit piégé dans un corps ; le corps n'est pas une carapace5. L'être humain est une union profonde d'un corps et d'une âme6 : la personne humaine n'a pas un corps, elle 'est' un corps. Nous ne somme pas des esprits incarnés, mais des corps spirituels.

Signe du mystère caché en Dieu

Quel est le "mystère tenu caché depuis toujours en Dieu"7 ? Comment le corps en est-il le signe ? 

N'entrons pas avec trop de désinvolture dans ces questions, puisque le Saint-Père y a consacré patiemment 129 catéchèses.. nous ne commençons ici qu'à égratigner la surface de la surface..

Quelques indications préliminaires toutefois : dans le christianisme, le mot 'mystère' ne signifie pas une énigme divine à résoudre, ni une connaissance réservée à des initiés8: il indique la profondeur d'une réalité qu'on ne peut concevoir parfaitement, toujours plus à découvrir, l'identité profonde de Dieu. Ce mystère, indicible et incommunicable9, et l'homme ne peut y accéder par ses propres forces : c'est le Mystère qui choisit de venir à notre niveau et de se révéler (et il l'a fait). Le Catéchisme l'exprime ainsi10 :

" Dieu est Amour " (1 Jn 4, 8. 16) : l’Être même de Dieu est Amour. En envoyant dans la plénitude des temps son Fils unique et l’Esprit d’Amour, Dieu révèle son secret le plus intime (cf. 1 Co 2, 7-16 ; Ep 3, 9-12) : Il est Lui-même éternellement échange d’amour : Père, Fils et Esprit Saint, et Il nous a destinés à y avoir part.

Dieu n'est pas un tyran, ni un esclavagiste ; Il n'est pas un vieil homme barbu assis sur un trône et près à nous frapper de ses foudres si nous le trahissons. Il n'est pas non plus une 'force impersonelle' à l'origine du cosmos. Dieu s'est révélé en Jésus-Christ, par le Saint-Esprit, comme éternellement échange d'amour.

Le Catéchisme insiste11 en déclarant que la seule raison de notre création est pour que nous partagions son amour et sa bonté :

 Dieu n’a pas d’autre raison pour créer que son amour et sa bonté

Ainsi, tout est don et le bonheur et l'épanouissement ne peuvent être trouvés que dans l'accueil de ce don. Toute aspiration humaine, toute blessure est signe de notre soif de recevoir ce don - c'est à dire de participer à cet échange d'amour éternel. C'est cette réalité théologique que le corps humain signifie.

Qu'est-ce qui nous permet de voir cet appel dans le corps humain ? Le Pape Jean-Paul II affirme que c'est précisément la beauté gratuite de la différence sexuelle et de l'appel à l'homme et à la femme à devenir"une chair" (Gn 2,24):

Le sacrement, c'est à dire le signe visible, est constitué de l'Homme, [...] à travers sa 'masculinité' et sa 'féminité' visibles. [...] Dans ce contexte sacramentel, nous comprenons maintenant pleinement les mots qui constituent le sacrement du mariage, dans Gn 2,24:"l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu'un."12

 En d'autres mots, dans le plan de Dieu, c'est l'union conjugale qui communique au monde et signifie le mieux le 'grand mystère' de la Trinité. Le cardinal Angelo Scola complète13 en disant que la sexualité humaine est un "écho dans la créature du Mystère insondable dont le Christ a levé le voile : l'unité dans la diversité de la Trinité, les trois personnes qui ne sont qu'un Dieu. [...] le mot approprié ce mystère impénétrable est 'Communion'".

Le Mystère est infiniment plus grand que le corps qui le signifie ; toutefois, le corps permet non seulement de voir ce Mystère, mais d'en faire l'expérience. Le signe du sacrement est efficace, c'est la logique de l'Incarnation. Le Catéchisme exprime cela ainsi14 :

Dans la vie humaine, signes et symboles occupent une place importante. L’homme étant un être à la fois corporel et spirituel, exprime et perçoit les réalités spirituelles à travers des signes et des symboles matériels. Comme être social, l’homme a besoin de signes et de symboles pour communiquer avec autrui, par le langage, par des gestes, par des actions. Il en est de même pour sa relation à Dieu.

Le lien entre théologie et anthropologie

A nos yeux (obscurcis par le péché), une telle affirmation semble presque trop osée : comment notre corps, 'terre-à-terre', peut-il avoir vocation à révéler une réalité divine si grande ? Ce lien entre théologie et anthropologie est l'un des principaux enseignements reçus du Concile Vatican II. Quelques soient nos peurs, Jean-Paul II insiste que nous devons nous y ouvrir "avec foi, ouverture d'esprit et de tout cœur"15

Par l'Incarnation, le lien entre ces deux réalités est le corps humain. Le corps du Christ est "tabernacle de gloire,[...] où le divin et l'humain se rencontrent dans une étreinte qui ne pourra jamais être brisée"16 et le Christ est "visage humain de Dieu et visage divin de l'homme"17.

Le christianisme est souvent accusé de diaboliser le corps : le diable diabolise le corps et en accuse l'Eglise.. au contraire, l'Église divinise le corps ! Le Catéchisme, citant Saint Athanase, nous apprend que "le Fils de Dieu s'est fait homme pour nous faire Dieu"18, suivant ainsi les Écritures qui affirment que dans le corps, par le Christ, "habite la plénitude de la divinité"19.

Le scandale du Corps

Les paradoxes et implications de l'Incarnation n'ont cessé de stupéfier les chrétiens20 (et ne cessent de nous surprendre) : une divinité purement spirituelle est bien plus pratique et bien plus attrayante qu'un Dieu qui a choisi un corps humain. 

Les Chrétiens sont ceux qui, face à ces paradoxes et implications, affirment "je crois" (credo). L'Église catholique reste en émerveillement face à ce mystère, honorant les entrailles qui L'ont porté et le sein qui L'a nourri21. Une suspicion à l'égard du corps couvre toute l'expérience humaine. Les chrétiens ont été - et sont - parfois affectés par cette suspicion, mais l'Église a défendu la bonté du monde physique et le caractère sacré du corps humain contre nombre d'hérésies22.

L'Église combat encore aujourd'hui la dichotomie hérétique "esprit = bien / corps = mal" dont beaucoup croient encore qu'il s'agit d'une croyance véritablement chrétienne.. comment insister suffisament ? Le christianisme ne rejette pas le Corps ! Le Catéchisme le proclame23:

La chair est le pivot du salut. Nous croyons en Dieu qui est le créateur de la chair ; nous croyons au Verbe fait chair pour racheter la chair ; nous croyons en la résurrection de la chair, achèvement de la création et de la rédemption de la chair

Nous faisons l'expérience de la présence de Dieu de la manière la plus intime dans notre corps, et les sacrements sont les signes visble de la réalité invisible de l'action de Dieu. Le mariage n'est pas juste l'un des sacrements : dans la mesure où il nous indique "depuis le commencement" le mystère de l'union du Christ et de l'Église, il est selon Jean-Paul II le fondement de tout l'ordre sacramentel24. Cela signifie qu'il est le prototype de tous les sacrements25 : le but de chacun étant de nous unir avec le Christ (l'Epoux), ce mysticisme nuptial est très présent dans le catholicisme26 et dans la Théologie du Corps.

  • 1. 1Co 6,13
  • 2. Jn 1,14
  • 3. CEC 477
  • 4. CEC 515 : Les Évangiles sont écrits par des hommes qui ont été parmi les premiers à avoir la foi (cf. Mc 1, 1 ; Jn 21, 24) et qui veulent la faire partager à d’autres. Ayant connu dans la foi qui est Jésus, ils ont pu voir et faire voir lestraces de son mystèredans toute sa vie terrestre. Des langes de sa nativité (cf. Lc 2, 7) jusqu’au vinaigre de sa passion (cf. Mt 27, 48) et au suaire de sa Résurrection (cf. Jn 20, 7), tout dans la vie de Jésus est signe de son mystère. A travers ses gestes, ses miracles, ses paroles, il a été révélé qu’" en Lui habite corporellement toute la plénitude de la divinité " (Col 2, 9). Son humanité apparaît ainsi comme le " sacrement ", c’est-à-dire le signe et l’instrument de sa divinité et du salut qu’il apporte : ce qu’il y avait de visible dans sa vie terrestre conduisit au mystère invisible de sa filiation divine et de sa mission rédemptrice.
  • 5. ou "l'homme n'est pas dans son corps comme un pilote en son navire", réfutait St Thomas d'Aquin contre l'idée de Platon
  • 6. CEC 365 : "L’unité de l’âme et du corps est si profonde que l’on doit considérer l’âme comme la " forme " du corps (cf. Cc. Vienne en 1312 : DS 902) ; c’est-à-dire, c’est grâce à l’âme spirituelle que le corps constitué de matière est un corps humain et vivant ; l’esprit et la matière, dans l’homme, ne sont pas deux natures unies, mais leur union forme une unique nature."
  • 7. cf. Ep 3,9
  • 8. ça, c'est le gnosticisme, et c'est une hérésie condamnée par l'Église dès les premiers siècles :)
  • 9. au sens de communicare, 'qui n'est pas commun'
  • 10. CEC 221
  • 11. CEC 293
  • 12. TDC 19,4
  • 13. dans The Nuptial Mystery, p131
  • 14. CEC 1146
  • 15. Dives in misericordia, 1: Plus la mission de l'Eglise est centrée sur l'homme -plus elle est, pour ainsi dire, anthropocentrique-, plus aussi elle doit s'affirmer et se réaliser de manière théocentrique, c'est-à-dire s'orienter en Jésus-Christ vers le Père. Tandis que les divers courants de pensée, anciens et contemporains, étaient et continuent à être enclins à séparer et même à opposer théocentrisme et anthropocentrisme, l'Eglise au contraire, à la suite du Christ, cherche à assurer leur conjonction organique et profonde dans l'histoire de l'homme. C'est là un des principes fondamentaux, et peut être même le plus important, de l'enseignement du dernier Concile. Si nous nous proposons donc comme tâche principale, dans la phase actuelle de l'histoire de l'Eglise, de mettre en œuvre l'enseignement de ce grand Concile, nous devons nous référer à ce principe avec foi, ouverture d'esprit et de tout cœur.
  • 16. Orientale Lumen, 15
  • 17. Ecclesia in America, 67
  • 18. CEC 460
  • 19. Col 2,9
  • 20. toutes les controverses des premiers siècles, notamment l'Arianisme, le Docétisme,  le Nestorianisme et le Monophysisme, en sont un témoinage clair
  • 21. cf. Lc 11,27
  • 22. dont l'Arianisme, le Docétisme,  le Nestorianisme et le Monophysisme
  • 23. CEC 1015
  • 24. TDC 96,7
  • 25. TDC 99,2
  • 26. e.g. chez les carmélites, comme Sainte Thérèse d'Avila, Saint Jean de la Croix, Sainte Thérèse de Lisieux
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L'analogie du Mariage

Dieu vous nous "épouser"

La Bible utilise nombre de métaphores pour décrire la relation de Dieu avec l'humanité : le Père et ses enfants, le maître et ses serviteurs, le berger et son troupeau, la vigneron et la vigne, etc. L'une d'entre elle trouve toutefois une résonnance particulière : celle de la relation amoureuse, du Fiancé et de la Fiancée, celle de l'Époux et de l'Épouse.

Les Écritures tout entières racontent en effet l'histoire d'un mariage : elle s’ouvre sur la création de l’homme et de la femme et sur leur appel à être 'une chair'. Dans l'Ancien Testament, les prophètes parlent de l'amour de Dieu comme celui du mari pour sa femme. Le Cantique des Cantiques, poème érotique situé exactement au milieu de la Bible, a donné à de nombreux mystiques les mots pour décrire leur relation au Christ. Le Christ incarne réellement dans les Évangiles l'amour divin, devenant 'une chair' avec l'humanité et donnant son corps. Enfin, la Bible s’achève sur la vision des " noces de l’Agneau " (Ap 19, 7. 9). 

Observons que les premiers mots prononcés dans la bible sont ceux d'Adam s'émerveillant à la vue de sa fiancée nue : "Cette fois-ci, la voilà !" (Gn 2,23). Les derniers mots sont ceux de la Fiancée désirant le don de son Fiancé : "L'Esprit et l'Épouse disent : « Viens ! » [...] Viens Seigneur Jésus !" (Ap 22,17-20).

En respectant notre liberté, le Fiancé céleste s'offre et attend notre fiat1, notre "oui" libre à son invitation. Ce don de soi n'est pas une spéculation conceptuelle, elle est juste ici, inscrite dans nos corps !2

Où le mariage avec le Christ sera t-il consommé ? Dans le Royaume des Cieux, mais il est déjà accessible aujourd'hui, sacramentellement, dans l'Eucharistie. Jean-Paul II développe :

Nous nous trouvons au centre même du mystère pascal qui révèle pleinement l'amour sponsal de Dieu. Le Christ est l'Epoux parce qu'«il s'est livré lui-même» [...] C'est ainsi qu'il «aima jusqu'à la fin» (Jn 13, 1). L'Eucharistie est le sacrement [...] de l'Epoux, de l'Epouse. [...] Tout cela est dit dans la Lettre aux Ephésiens. Dans le «grand mystère» du Christ et de l'Eglise se trouve introduite l'éternelle «unité des deux» constituée dès le «commencement» entre l'homme et la femme. [...] le Christ, en instituant l'Eucharistie [...] voulait de cette façon exprimer la relation entre l'homme et la femme, entre ce qui est «féminin» et ce qui est «masculin», voulue par Dieu tant dans le mystère de la Création que dans celui de la Rédemption.

Méditons un instant sur cette réflexion : selon Jean-Paul II, l'Ecuharistie nous révèle le sens profond de notre sexualité. Dans l'Eucharistie, le Christ se révèle aux hommes et faire résonner clairement son appel ; réciproquement, une fois nos distorsions dues au péché enlevées, c'est dans la sexualité que nous découvrons et que nous est signifié le sens de l'Eucharistie.
Le lien se trouve dans cette parole du Christ, que chacun, mais plus encore les couples, est appelé à méditer et vivre : "ceci est mon corps, livré/donné pour vous/toi".

Cette 'analogie sponsale' n'est pas une coïncidence. Lorsque Dieu établit une alliance avec les hommes, l'union des époux en est un signe privilégié, que ce soit avec Adam3, Noé4, Abraham5, Jacob6 ou Moïse7

Cette alliance est alors signifiée dans la chair par la circoncision :

Vous vous circoncirez; et ce sera un signe d'alliance entre moi et vous.On devra circoncire celui qui est né dans la maison et celui qui est acquis à prix d'argent; et mon alliance sera dans votre chair une alliance perpétuelle.

Comment une telle marque physique peut-elle être signe de l'amour d'alliance de Dieu ? Les experts en histoire juives auront sans doute des explications variées (suivant les tribus etc.) mais considérons quelques faits simples : qui serait témoin le plus souvent de ce signe et dans quelle circonstance ? A chaque fois que des descendants d'Abraham vivent dans l'union sexuelle la réalité du don de leur personne dans le mariage, la circoncision leur rappelle la promesse divine d'un amour fécond.

L'Eglise voit dans ce signe de l'ancienne alliance la préfiguration de la nouvelle alliance (ie. du don total, sincère, fidèle et fécond du corps du Christ)8. Dans le Christ mis à nu et son corps donné pour nous, l'alliance promise à Abraham est accomplie ; la fécondité promise par le signe de la circoncision est accomplie dans le sacrifice eucharistique : "Femme, voici ton fils" (Jn 19,26).

 

Entrer dans une bonne compréhension de l'analogie sponsale

Angelo Cardinal Scola9 nous met en garde contre deux dangers qui nous guettent face à une telle analogie :

  • Une interprétation maximaliste déforme notre vision de Dieu en l'identifiant à l'homme (anthropomorphisme), voire en lui attribuant une sexualité. Cette interprétation (qui nous conduit droit à l'hérésie) conduit à considérer que les catégories liées à la nuptialité sont les seules à éclairer le mystère de Dieu.
    Le mystère de Dieu est transcendant et ne se limite pas à cette analogie : la Trinité n'est d'ailleurs pas décrite comme Père-Mère-Fils mais comme Père-Fils-Esprit.
  • Une interprétation minimaliste, souvent motivée par un refus du corps, conduit à ramener cette analogie au niveau de la parabole, en l'assimilant par exemple au niveau de l'image du berger et de ses brebis. L'analogie est imparfaite - comme toute analogie - mais Jean-Paul II affirme10 que c'est la moins imparfaite.
Comprendre la valeur propre à cette analogie sponsale

La valeur particulière de cette analogie est liée au fait qu'elle seule souligne le fait que Dieu veut faire don total de Lui-même11. Jean-Paul II veut clarifier ce point en le disant littéralement12 :

 C'est ce qu'est le corps : un témoin du don fondamental qu'est la création, et ainsi un témoin de l'Amour qui en est à l'origine. La masculinité et la féminité, c'est à dire la sexualité, est le signe originel de don créatif [de Dieu]. C'est dans ce sens que la sexualité entre dans la Théologie du Corps.

Cette analogie présente trois grandes dimensions : tout d'abord, la complémentarité dans la différence sexuelle et l'altérité, qui - seconde dimension - nous appelle à la communion par le don de nous-mêmes, communion qui  - et c'est la troisième dimension - est source de fécondité. 

Ces trois dimensions - complémentarité, don mutuel de soi, fécondité - se trouvent dans tout amour. "Toute forme d'amour sera toujours marquée de cette caractéristique masculine ou féminine"13

On peut être tenté de croire que, si Saint-Paul dit que ce mystère est en lien avec le Christ et l'Eglise14, seule l'institution serait concernée : Jean-Paul II corrige, en nous rappelant que l'Église n'est corps du Christ que par la communion de chaque homme et chaque femme avec le Christ. Ainsi nous sommes chacun concernés par cette analogie : notre sexualité a vocation à être signe de l'amour de Dieu :

 On ne peut donc comprendre l'Eglise comme Corps mystique du Christ, comme signe de l'Alliance de l'homme avec Dieu dans le Christ, comme sacrement universel du salut, sans se référer au « grand mystère », en rapport avec la création de l'homme, homme et femme, et avec la vocation des deux à l'amour conjugal, à la paternité et à la maternité. Le « grand mystère », qui est l'Eglise et l'humanité dans le Christ, n'existe pas sans le « grand mystère » qui s'exprime dans le fait d'être « une seule chair » (cf. Gn 2, 24 ; Ep 5, 31-32), c'est-à- dire dans la réalité du mariage et de la famille.

 

L'influence de Saint Jean de la Croix

Le carmélite espagnol, nommé Docteur de l'Église lorsque Karol Wojtila avait 6 ans, croyait que le christianisme était par nature une "demande en mariage spirituel" de Dieu. Ce mariage implique, selon Saint Jean de la Croix15 :

une transformation totale dans le Bien-aimé : les deux parties s'y livrent l'une à l'autre en totale possession l'une de l'autre, avec une certaine consommation de l'union d'amour, qui fait l'âme divine et Dieu par participation.. Cet état est le plus haut qu'on puisse atteindre en cette vie. [Comme dans la consommation charnelle où les deux ne font plus qu'un,] une fois le mariage spirituel consommé entre Dieu et l'âme, il y a deux natures fondues dans un même esprit et un même amour...

Le saint continue en affirmant qu'ultimement, le plan de Dieu est que chacun puisse dire à la suite du Christ "tout ce qui est à moi est à toi et tout ce qui est à toi est à moi". Ici se joue le lien entre l'image des Époux et l'image du Père et du Fils.

Cette participation à l'échange intime de la Trinité n'est pas un concept théologique, mais une réalité à vivre. Et nul besoin d'être théologien pour cela, nous dit Jean-Paul II16 :

 Cette connaissance intime et 'savoureuse' que nous appelons experience de Dieu [...] va beaucoup plus loin que la réflexion théologique ou philosophique. Et beaucoup d'âmes simples et modestes la reçoivent de Dieu par l'action de l'Esprit.

Heureux les simples d'esprit ! Ils peuvent vivre cette réalité du don de l'amour sans s'encombrer de théologie, et être touchés directement dans leur coeur. Le Catéchisme le dit17:

 Le cœur est la demeure où je suis, où j’habite (selon l’expression sémitique ou biblique : où je " descends "). Il est notre centre caché, insaisissable par notre raison et par autrui ; seul l’Esprit de Dieu peut le sonder et le connaître.

L'étude de la Théologie du Corps n'est pas une question de connaissances, mais d'expérience. Il ne s'agit pas de nous in-former mais de nous trans-former. Cette découverte se fait à genoux, dans la prière et l'abandon : il ne s'agit pas d'une expérience réservée à une élite, mais du développement normal d'une vie surnaturelle de foi et d'amour. Citons encore Jean-Paul II 18:

  Le fait que l'on enregistre aujourd'hui, dans le monde, malgré les vastes processus de sécularisation, une exigence diffuse de spiritualité, qui s'exprime justement en grande partie dans un besoin renouvelé de prière, n'est-il pas un « signe des temps »? [...]
  La grande tradition mystique de l'Église, en Orient comme en Occident, [...] montre comment la prière peut progresser, comme un véritable dialogue d'amour, au point de rendre la personne humaine totalement possédée par le Bien-Aimé divin, vibrant au contact de l'Esprit, filialement abandonnée dans le cœur du Père. On fait alors l'expérience vivante de la promesse du Christ: « Celui qui m'aime sera aimé de mon Père; moi aussi je l'aimerai, et je me manifesterai à lui » (Jn 14,21).
  Il s'agit d'un chemin totalement soutenu par la grâce, qui requiert toutefois un fort engagement spirituel et qui connaît aussi de douloureuses purifications (la « nuit obscure »), mais qui conduit, sous diverses formes possibles, à la joie indicible vécue par les mystiques comme « union sponsale ». Comment oublier ici, parmi tant de témoignages lumineux, la doctrine de saint Jean de la Croix et de sainte Thérèse d'Avila?

 

  • 1. Réponse de Marie à l'ange : "qu'il me soit fait selon ta parole".
  • 2. Rappel : Ep 5,32: A cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme et tous les deux ne feront plus qu'un. Ce mystère est grand ; je le dis en pensant au Christ et à l'Eglise.
  • 3. Gn 1,28 : Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous »
  • 4. Gn 9,1: Dieu bénit Noé et ses fils. Il dit : « Soyez féconds, multipliez-vous »
  • 5. Gn 17,5-6 : je fais de toi le père d'un grand nombre de peuples. Je te ferai porter des fruits à l'infini, de toi je ferai des peuples
  • 6. Gn 35,11 : Dieu lui dit: Je suis le Dieu tout puissant. Sois fécond, et multiplie: une nation et une multitude de nations naîtront de toi
  • 7. Lv 26,9 : Je me tournerai vers vous, je vous rendrai féconds et je vous multiplierai, et je maintiendrai mon alliance avec vous.
  • 8. cf. CEC 1150
  • 9. dans son ouvrage The Nuptial Mystery
  • 10. dans l'homélie de la fête de la Sainte Famille, 1988
  • 11. TDC 96,4
  • 12. TDC 14,4
  • 13. Conseil Pontifical pour la Famille, Vérité et signfication de la sexualité humaine.
  • 14. rappel: Ep 5,31-32
  • 15. Saint Jean de la Croix, Commentaire de la strophe 22 du Cantique Spirituel
  • 16. Maître dans la Foi, lettre apostolique adressée au supérieur général de l'ordre des carmes déchaux à l'occasion du 400e anniversaire de la mort de Jean de la Croix
  • 17. CEC 2563
  • 18. in Novo Millenio Ineunte, lettre apostolique pour la fin du jubilé de l'an 2000
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Le corps, au coeur du combat spirituel

La vie humaine est au centre d'un combat spirituel entre le bien et le mal. Le Concile Vatican II le décrit ainsi1 :

Un dur combat contre les puissances des ténèbres passe à travers toute l'histoire des hommes; commencé dès les origines, il durera, le Seigneur nous l'a dit(8), jusqu'au dernier jour. Engagé dans cette bataille, l'homme doit sans cesse combattre pour s'attacher au bien; et ce n'est qu'au prix de grands efforts, avec la grâce de Dieu, qu'il parvient à réaliser son unité intérieure.

A quel niveau ce combat se situe-t-il ? Remarquons que le chapitre 5 de la lettre aux Éphésiens, qui se conclut sur cette affirmation de Saint-Paul "ceci [l'union en une chair de l'homme et la femme] est un grand mystère, je le dis en pensant au Christ et à l'Église", est immédiatement suivi... du chapitre 6 qui, après une exhortation aux enfants, annonce le combat spirituel2 :

Revêtez l'équipement de Dieu pour le combat, afin de pouvoir tenir contre les manoeuvres du démon. Car nous ne luttons pas contre des hommes, mais contre les forces invisibles, les puissances des ténèbres qui dominent le monde, les esprits du mal qui sont au-dessus de nous.

Dès lors que l'on approche le mystère, les "ténèbres tentent de nous en éloigner".. par quel moyen ? 

Parodie du Sacrement primordial

Toute la création fait écho à la beauté du Verbe, mais l'humain dispose d'une voix propre pour louer dans la liberté. Dieu a voulu l'homme libre de ses propres décisions3 : en effet, l'homme est la seule créature voulue pour elle-même.

Au commencement, le corps humain reflètait sans tâche la beauté du Verbe, et ainsi ils étaient nus et n'avaient pas honte. Entre cette expérience primordiale et la feuille de vigne, l'homme et la femme rencontrent le père du mensongeque Jean-Paul II qualifie d'anti-Verbe4.

Beaucoup d'entre nous ne voient aujourd'hui dans Satan que le symbole du mal, mais posons-nous la question : si il y a un ennemi qui veut nous empêcher d'accéder au salut (ie. aux noces de l'Agneau) et que l'union sexuelle entre l'homme et la femme est le signe fondamental que Dieu a voulu donner pour signifier son plan, où l'ennemi va t-il attaquer ? où va t-il diriger ses flèches ? 

Le but de Satan est de nous convaincre que nous ne pouvons pas faire confiance à Dieu, et ainsi détourner notre liberté de Lui. Tertullien, un écrivain chrétien des premiers siècles, remarquait déjà5 que sa meilleure arme consiste à parodier les sacrements. Il vise ainsi le Dieu de l'Alliance.

Considérons le monde actuel :

  • Dieu se présente comme un Père aimant ; la paternité est au centre des attaques du diable avec la pédophilie. Cette attaque contre le symbole du père est encore plus violente lorsqu'elle est du fait d'un prêtre.
     
  • Dieu se présente comme Créateur soucieux de ses créatures ; notre participation a son oeuvre de création, la pro-création, est handicapée avec les souffrances liées à l'infertilité ou niée avec l'avortement.
     
  • Dieu se présente comme Don total et fidèle ; le diable par l'infidélité et le divorce nous fait douter de la possibilité-même d'un tel don, nous éloignant ainsi du mariage.
     
  • Dieu est un dieu Personnel, qui aime chacun personnellement ; la pornographie présente des corps impersonnels, anonymisés dont on n'attend pas qu'ils se donnent pour se les approprier et que ne révèlent pas le signe de la beauté de la Personne.

En effet, c'est ce qui est le plus sacré qui est le plus lourdement profané : en retournant ce fait, il suffit de regarder ces choses de notre monde qui sont le plus fréquemment et le plus violamment attaquées pour, en négatif, retrouver ce qui a la plus de valeur aux yeux de Dieu.

Le diable n'a qu'un pouvoir limité : tout ce qu'il peut faire, c'est proposer une contrefaçon de l'Amour, prendre le mystère de Dieu et de la beauté de notre création et les tordre.

Symbolique et diabolique

Notre culture vit un combar entre le symbolique et le diabolique. En grec, symballein signifie 'rassembler, unir' ; diaballein signifie 'séparer, disperser'. Le plan de Dieu, symbolisé par le corps, est l'union, la communion, le mariage ; le diable en fait une contrefaçon en le diabolisant par la séparation et le divorce.

Beaucoup d'entre nous vivent la tentation de "spiritualiser" l'appel de Dieu à la sainteté. Cependant, l'esprit qui nie la réalité charnelle n'est pas l'Esprit de Dieu6 et céder à cette tentation fait de nous des schyzophrènes spirituels.

Comment vaincre alors ce mensonge et vivre une vie spirituelle incarnée ? Ne cédons pas à la tentation de nous éloigner du corps au motif que le diable l'a détourné de son objectif : prenons "l'équipement de Dieu pour le combat" et revendiquons ce que Satan a plagié et parodié.

Nous éviter ce "dédoublement de personnalité" est exactement le but de la Théologie du Corps.

Angélisme et animalisme

Les anges sont des personnes, sans être corporels ; les animaux sont corporels mais ne sont pas des personnes. L'homme est une personne à la fois corporelle et spirituelle. Le Catéchisme insiste7 lourdement8 sur ce point, et notamment sur le fait que Dieu a voulu ces deux natures qui sont, comme telles, très bonnes.

Au commencement cette nature double se vit dans l'harmonie et est un signe efficace de l'appel au don sincère de soi. Cependant, quand l'homme a accepté l'anti-Verbe, son péché a altéré cette harmonie, provoquant un véritable divorce. Le monde touché par le péché est ainsi un monde où les Époux ne se reconnaissent pas : séparation entre le divin et l'humain, entre le ciel et la terre, l'âme et le corps, la spiritualité et la sexualité, la sacralité et la sensualité, la masculinité et la féminité.

Ceux qui perpétuent ce divorce entendent le vivre comme s'il s'agissait d'une donnée fondamentale : ils tombent ainsi dans l'un de ces deux travers qui mènent l'un comme l'autre à la destruction de la personne et de la culture.

  • l'Angélisme promeut une vie spirituelle, divorcée du corps. En échouant à reconnaître la dignité du corps, il mène à la pruderie ou au puritanisme. La morale qui en découle est le rigorisme qui condamne des manifestations de la sexualité parmi les plus naturelles. Le grand danger en est qu'il peut facilement être confondu pour de la sainteté.

     

  • l'Animalisme issu du matérialisme promeut une vie charnelle divorcée de l'esprit. En échouant à considérer que le corps et la sexualité doivent être éclairées par la dignité spirituelle de l'homme, il vise l'indécence ; il confond le plaisir physique et la satisfaction ultime de l'homme. La morale qui en découle est le permissivisme et le libertarisme, qui condamne toute forme de tempérance comme un obstacle à la liberté. Pour le trouver, il suffit d'allumer votre télévison !

Réunir le Corps et l'Esprit

L'attaque de la paternité de Dieu - sur le fait que Dieu est Amour - a connu différentes étapes au cours de l'histoire. Elle est d'abord passé par la destruction systématique de notre représentation de Dieu pour arriver, dans une nouvelle étape de l'Histoire lorsque la "culture du mort" y a été prête, à la négation même de son existence, dans l'athéisme humaniste. 

Nos sociétés, et nous-mêmes, tendons à osciller entre ces deux extrêmes. Cependant le Christ propose une autre voie par l'Incarnation.Voici en somme ce que nous dit le Christ : "Tu ne crois pas dans l'Amour de mon Père ? Je vais le rendre tangible, je vais l'incarner pour que vous puissiez Le goûter et Le voir. Vous ne croyez pas que Dieu veut vous donner la vie ? Je vais donner ma vie, mon corps et mon sang, pour vous afin que mon sang vous vivifie. Vous pensiez que Dieu est un esclavagiste ou un tyran, qu'il vous fouetterait si vous lui en donniez l'occasion ? Je vais prendre pour vous la forme de l'esclave et je vous laisserai me flageller et me clouer sur un arbre ; pour vous montrer que mon Père n'a aucun désir de domination sur vous, je vais vous laisser me dominer. Je ne suis pas venu vous condamner, mais vous sauver ; je ne veux pas vous réduire en esclavage mais faire de vous des hommes libres. Ne soyez pas incroyants : croyez et recevez le don de la vie que je vous offre."

Croire, pour un chrétien, ce n'est pas adhérer à une fable. On ne croit pas "à quelquechose" mais "en quelqu'un" ! Avoir la foi, c'est accepter le don de Dieu, de croire qu'il m'a créé et que cela était bon, très bon. C'est baisser les boucliers pour s'ouvrir à la Vie. Jean-Paul II nous explique9 :

[Dans sa participation à la rédemption,] l'homme retrouve la grandeur, la dignité et la valeur propre de son humanité. [Il] se trouve de nouveau «confirmé» et il est en quelque sorte créé de nouveau. Il est créé de nouveau! [...] L'homme qui veut se comprendre lui-même jusqu'au fond ne doit pas se contenter pour son être propre de critères et de mesures qui seraient immédiats, partiaux, souvent superficiels et même seulement apparents; mais il doit, avec ses inquiétudes, ses incertitudes et même avec sa faiblesse et son péché, avec sa vie et sa mort, s'approcher du Christ. Il doit, pour ainsi dire, entrer dans le Christ avec tout son être, il doit «s'approprier» et assimiler toute la réalité de l'Incarnation et de la Rédemption pour se retrouver soi-même. S'il laisse ce processus se réaliser profondément en lui, il produit alors des fruits non seulement d'adoration envers Dieu, mais aussi de profond émerveillement pour soi-même.

Le mal a jeté le doute sur la Vérité "Dieu est Amour" et en conséquence a implanté en nous l'image du maître et de l'esclave comme modèle de relation avec Dieu. Ce paradigme est étranger à l'Évangile, affirme Jean-Paul II10.

La vie libérée de ce fardeau devient action de grâce (eucharistia)

L'homme ne peut vivre sans amour

Notre création à l'image de l'Amour qui donne la vie explique pourquoi le corps et la sexualité nous fascinent et pourquoi nous avons à ce point besoin d'intimité, de tendresse et d'union. Oui, dans le monde tombé loin de Dieu, cette fascination se manifeste de manière destructrice. Mais si nous corrigeons la convoitise qui nous aveugle, nous réalisons que cette fascination révèle une soif de Dieu. Jean-Paul II développe11:

L'homme ne peut vivre sans amour. Il demeure pour lui-même un être incompréhensible, sa vie est privée de sens s'il ne reçoit pas la révélation de l'amour, s'il ne rencontre pas l'amour, s'il n'en fait pas l'expérience et s'il ne le fait pas sien, s'il n'y participe pas fortement. C'est pourquoi, comme on l'a déjà dit, le Christ Rédempteur révèle pleinement l'homme à lui-même.

Christ ne vient pas pour détruire en nous l'humanité mais pour la restaurer dans sa gloire originelle. Voici la proposition que l'Eglise fait au monde ! Malheureusement, même dans des pays chrétiens, beaucoup d'hommes et de femmes n'ont pas encore entendu cette proposition. Les gens continuent de penser que le Christianisme est une liste de commandements et de règles, particulièrement strictes dès lors qu'il s'agit de sexualité. Quelle appauvrissement !
Le monde occidental est aujourd'hui "un champ à moissonner". Le projet philophique et théologique de Jean-Paul II est sans doute l'un des principaux outils de cette moisson.

  • 1. Gaudium et Spes, 37
  • 2. Ep 6,11-12
  • 3. cf. Si 15,14 : Au commencement il a créé l’homme, et il l’a laissé dans la main de son conseil
  • 4. Dominum et Vivificantem, 37
  • 5. Tertullien, Prescription contre les hérétiques, 40 : Le rôle [du Diable] est de pervertir la vérité. [...] Celui qui s'est si jalousement efforcé de reproduire dans les choses de l'idolâtrie les rites mêmes qui servent à administrer les « sacrements » du Christ, celui-là aussi, dans une intention toute pareille, a désiré passionnément et a pu appliquer à une foi profane et rivale les instruments des choses divines et des sacrements chrétiens, en tirant sa pensée de leurs pensées, ses paroles de leurs paroles, ses paraboles de leurs paraboles.
  • 6. cf. 1Jn 4,2-3
  • 7. CEC 327
  • 8. CEC 362-368
  • 9. Redemptor Hominis, 10
  • 10. cf. Franchir le seuil de l'espérance
  • 11. Redemptor Hominis, 10
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La "méthode Wojtyla"

Le développement du subjectivisme

Le monde actuel semble refuser d'instinct le message de l'Église : en effet, la modernité n'a pas fait que révolutionner les sciences, les technologies, l'économie et la politique ; elle a réellement changé les modes de pensée avec le rationalisme, qui ne laisse aucune place pour le "grand Mystère" du Christ et de l'Église. Jean-Paul II explique1:

 Le rationalisme moderne ne supporte pas le mystère. Il n'accepte pas le mystère de l'homme, homme et femme, ni ne veut reconnaître que la pleine vérité sur l'homme a été révélée en Jésus-Christ. En particulier, il ne tolère pas le « grand mystère » annoncé dans la Lettre aux Ephésiens, et il le combat de manière radicale. S'il reconnaît, dans un contexte de vague déisme, la possibilité et même le besoin d'un Etre suprême ou divin, il récuse fermement la notion d'un Dieu qui se fait homme pour sauver l'homme. Pour le rationalisme, il est impensable que Dieu soit le Rédempteur, encore moins qu'il soit « l'Epoux », la source originelle et unique de l'amour sponsal humain. Il interprète la création et le sens de l'existence humaine de manière radicalement différente.

Le slogan du rationalisme a été forgé par Descartes : "je pense donc je suis". Alors que pour St Thomas, l'existence était la condition de la pensée, chez Descartes c'est la pensée qui détermine l'existence : le monde commence en quelque sorte avec moi et je suis son centre...

Une philophie de l'être accepte qu'il existe une réalité qui était là avant moi et me dépasse, un Être incréé qui m'a créé comme je suis (pour penser). Mes pensées subjectives doivent donc se confronter à cette réalité objective. Si je réduis le monde a ce que je peux en penser alors l'homme est (ou plutôt je suis) la mesure de toute chose et non pas Dieu. Ainsi, le développement du sujet en philosophie a rapidement viré au subjectivisme et par conséquence au relativisme moral.

Il n'y a pas de vérité, affirment-ils2 Pourquoi ce refus ? Parce que la valeur suprême de l'homme moderne est la liberté. Pour lui, l'existence d'une vérité objective est perçue comme une menace à sa liberté. Jean-Paul II l'affirme3 : "Vérité et liberté, en effet, vont de pair ou bien elles périssent misérablement ensemble".

La vérité sans liberté mène à la tyrannie, à la conversion par l'épée et à une religion guerrière. C'est manifeste aujourd'hui. Mais la liberté sans la vérité est également tyrannique. Sans Vérité, sans norme objective du bien, tout ce qui existe est une lutte de pouvoir entre opinions : ceux qui ont le plus de pouvoir, d'influence, de force militaire imposent une vision du monde à leur service. "Ainsi la démocratie, en dépit de ses principes, s'achemine vers un totalitarisme caractérisé"4.

Reconnaissons que les formulations traditionnelles de la foi catholique font la part belle au fait objectif, négligeant l'expérience individuelle de chacun, amenant certains à séparer la vérité de la liberté. La clé de la pensée de Jean-Paul II est la confiance que l'expérience subjective, bien discernée, mène à la vérité objective. Le respect de la liberté individuelle est donc un point de foi.

 

Un personnalisme thomiste

Jean-Paul II a été formé dans la pensée de Saint Thomas d'Aquin, qui privilégie une compréhension objeciviste de l'homme. En effet, s'il était familier avec les idées de personne et de sujet, Saint Thomas ne disposait pas d'un certain nombre d'outils - comme la psychologie, etc. - pour penser l'expérience propre à chaque individu.

Karol Wojtyla a écrit sa thèse d'habilitation sur la pensée du philosophe Max Scheler5. Celui-ci, s'opposant à la morale strictement objective de Kant, essaie de recréer la morale chrétienne, depuis ses bases, en partant de l'expérience individuelle, en s'appuyant sur une méthode appelée phénoménologie.

La phénoménologie cherche à analyser l'expérience individuelle, en fait en la laissant parler sans imposer d'emblée un système de valeurs. La force de Jean-Paul II est d'avoir compris que cette méthode était également une porte d'accès à la Vérité, objective : L’Église sait " que son message est en accord avec le fond secret du cœur humain "6 affirme le Catéchisme.

Comme il est fréquent que la doctrine de l'Eglise soit rejetée parce que sa formulation laisse penser qu'elle complètement déconnectée du concret de la vie quotidienne ! Comme il est fréquent que les enfants, une fois adultes, rejettent la foi parce que leurs éducateurs - parents, prêtres, catéchistes - leur ont imposé la religion sans respecter -  ni les éduquer dans - leur liberté humaine authentique ? 

Il ne s'agit pas de simplement connaître la vérité, mais de l'intérioriser, de la vivre comme un bien libérateur. Toutefois, on ne peut aimer sans réserve la vérité sans crainte pour notre liberté que si cette vérité est elle-même l'Amour parfait. Devinez ? C'est le cas ! La Vérité est Amour, c'est le Christ !!7

 

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Humanae Vitae et sa réception

Nécessité d'une vision globale de l'homme :

La principale difficulté de réception de l'encyclique de Paul, Humanae Vitae, en 1968, tient au lien que l'Église reconnaît entre la sexualité et la procréation. On a pu le voir avant, deux anthropologies s'affrontent ici.

Le rationalisme moderne ne voit dans le corps qu'une donnée biologique : si la personne n'est pas un corps, mais qu'elle possède un corps (comme on possèderait une maison), alors il est moralement neutre de manipuler et dominer le corps comme l'homme domine le reste de la création. Finalement, dans ce mode de pensée, on peut altérer sa fertilité comme altère sa couleur de cheveux.
L'Église insiste sur le fait que nous sommes des corps et qu'une telle manipulation a des répercussions sur la personne toute entière.

Le rationalisme présente des bouts de vérités séparées les unes des autres ; dans Humanae Vitae, Paul VI identifie le besoin d'une vision globale de l'homme1. L'ennui c'est qu'il ne propose pas cette vision, se bornant à identifier ses conséquences morales. Jean-Paul II répare cet oubli : sa Théologie du Corps est précisément la fondation de la doctrine rappelée par Paul VI.

Loin de s'opposer à l'encyclique, Jean-Paul II précise, dans la dernière catéchèse de la Théologie du Corps, que cette série constitue un long commentaire de celle-ci. Il mentionne également qu'il a appelé les théologiens dans l'exhortation Familiaris Consortio à venir compléter l'édifice qu'il a commencé à bâtir en s'appuyant sur ses deux piliers : l'Écriture Sainte et le Personnalisme. Ecoutons-le2 : (gras et italique ajouté)

C'est pourquoi, avec les Pères du Synode, je me sens le devoir d'adresser aux théologiens un appèl pressant afin qu'unissant leurs forces pour collaborer avec le Magistère hiérarchique, ils fassent leur possible pour mettre toujours mieux en lumière les fondements bibliques, les motivations éthiques et les raisons personnalistes qui sous-tendent cette doctrine. Il sera ainsi possible, dans le cadre d'un exposé ordonné, de rendre la doctrine de l'Eglise concernant cet important chapitre vraiment accessible à tous les hommes de bonne volonté, et d'en favoriser la compréhension de façon toujours plus claire et plus approfondie: de cette manière le dessein de Dieu pourra être réalisé toujours plus pleinement pour le salut de l'homme et la gloire du Créateur.

A cet égard, l'effort coordonné des théologiens, inspiré par une adhésion convaincue au Magistère qui est l'unique guide authentique du peuple de Dieu, présente une urgence particulière qui vient aussi du lien profond existant entre la doctrine catholique sur ce point et la vision de l'homme proposée par l'Eglise: des doutes ou des erreurs dans le domaine conjugal ou familial entraînent un grave obscurcissement de la vérité intégrale sur l'homme, qui se trouve déjà dans une situation culturelle si souvent confuse et contradictoire. L'éclairage et l'approfondissement que les théologiens sont appelés à apporter en accomplissement de leur tâche spécifique sont d'une valeur incomparable et constituent un service singulier, et combien méritoire, rendu à la famille et à l'humanité.

 

Le besoin "pressant" d'une éthique personnaliste

A cause de trop nombreuses formulations légalistes de la théologie morale dans l'Église et un dédain pour les questions liées à la sexualité dans les églises, beaucoup récusent à Rome sa légitimitédans ce domaine.

Il est évident, si l'on a lu les pages précédentes, que si la sexualité est liée à notre identité profonde en tant que créatures désirées par Dieu tels que nous sommes, alors la théologiea son mot à dire sur la sexualité.

Toutefois, ne nions pas une responsabiltié qui est nôtre : le légalisme en matière de sexualité est précisément l'une des raisons pour lesquelles l'unique question qui agite beaucoup de nos contemporains, lorsqu'il s'agit de sexualité, est "jusqu'où puis-je aller avant d'enfreindre la loi ?" alors que d'autres questions beaucoup plus essentielles - "Qu'est qu'être humain ? Qu'est ce qu'une personne ? Que signifie aimer ? Pourquoi Dieu nous a t-il fait homme et femme ? Pourquoi nous a t-il fait sexués, d'ailleurs ? Comment puis-je aimer l'autre en respectant le mystère que Dieu a mis en elle/lui ?"

Que les anciens se rassurent : l'enseignement de l'Église sur la sexualité n'a pas changé... mais une prise de conscience a eu lieu : les questions liées à la morale sexuelle sont liées au contenu et à la qualité de l'expérience subjective3 de la personne, de comment elle vit sa corporéité et la relation à l'autre. L'enseignement traditionnel n'est ainsi pas aboli, mais accompli, ou plus exactement, incarné

La norme personnaliste :

Le Pape, une fois encore, a une foi profonde dans le fait que l'expérience individuelle de ce qui donne le bonheur rejoint le bien objectif. Il ne veut pas forcer quiconque à écouter, ce qui serait nier la liberté de la personne, mais il a confiance que la Vérité résonne dans les coeurs.

Cette confiance dans l'expérience intérieure comme source de l'éthique suppose que la personne soit la norme : tout d'abord, une personne ne peut être utilisée comme un moyen, quelle que soit la fin ; ensuite, l'unique réponse adéquate face à une personne est l'amour.

Dans cette optique, l'opposé de l'amour n'est pas la haine, mais l'utilisation de la personne comme un objet. Une telle utilisation de la personne se cache souvent sous des apparences d'amour. La soi-disant "libération sexuelle" qui prône l'utilitarisme a déjà fait des ravages... mais alors que toujours plus de gens font l'expérience quotidienne des blessures que provoque cette parodie de libération sexuelle, leur coeur ressent toujours plus le besoin de trouver le vrai Amour.

Les fondements d'une nouvelle révolution sexuelle sont jetés... elle commence comme celle qui a abouti à la chute de l'URSS : discrètement, dans les coeurs, la parole de vérité proclamée par ce Pape polonais est accueillie et germe !

 

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