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TDC 013 - La Création: Don originel fondamental

TDC 013 - La Création: Don originel fondamental

Publié par Incarnare le samedi 05/09/2009 - 00:51

1. Reprenons l'analyse de Gn 2,25 que nous avons commencée il y a quelques semaines.
Selon ce passage, l'homme et la femme se voient eux-mêmes à travers le mystère de la création; ils se voient eux-mêmes de cette manière avant de savoir "qu'ils sont nus". Cette façon de se voir l'un l'autre n'est pas seulement une participation à la perception extérieure du monde, mais également une dimension intérieure de participation à la vision du Créateur lui-même, de cette vision dont, à diverses reprises, le récit du chapitre I fait état: "Dieu vit tout ce qu'il avait fait et voici que c'était très bien" Gn 1,31

La "nudité" signifie le bien originel de la vision divine. Elle signifie toute la simplicité et plénitude de la vision qui rend manifeste la "pure" valeur de l'être humain comme homme et comme femme, la "pure" valeur du corps et du sexe. La situation indiquée ainsi, de manière si concise et en même temps si suggestive par la révélation originelle du corps - comme cela résulte en particulier de Gn 2,25 - ne connaît ni rupture intérieure ni contradiction entre ce qui est spirituel et ce qui est sensible, de même qu'elle ne connaît pas de rupture et de contradiction entre ce qui, humainement, constitue la personne et ce qui dans l'homme est déterminé par le sexe: ce qui est masculin et ce qui est féminin.
Se voyant l'un l'autre, quasi à travers le mystère même de la création, respectivement comme homme et comme femme, ils se voient eux-mêmes encore plus pleinement, plus distinctement que par le sens de la vue, c'est-à-dire que par les yeux du corps. Ils se voient, en effet, et se connaissent eux-mêmes avec toute la paix du regard intérieur qui crée précisément la paix de l'intimité des personnes. Si la "honte" entraîne une réduction spécifique de la vue par les yeux du corps, cela provient surtout de ce que l'intimité personnelle est comme troublée et presque "menacée" par une semblable vision. Suivant Gn 2,25 l'homme et la femme "n'avaient aucune honte": se voyant et se connaissant eux- mêmes dans toute la paix et tranquillité du regard intérieur, ils "communiquent" dans toute la plénitude de l'humanité qui se manifeste en eux comme caractère complémentaire précisément parce que "masculin" et "féminin". En même temps, ils communiquent sur la base de cette communion des personnes dans laquelle, du fait de la féminité et de la masculinité, ils deviennent mutuellement don de l'un à l'autre. De cette manière ils parviennent dans la réciprocité à une compréhension particulière de leur propre corps. La signification originelle de la nudité correspond à cette simplicité et plénitude de vision dans laquelle la compréhension de la signification du corps naît pour ainsi dire du coeur même de leur communauté-communion. Nous l'appellerons "conjugale". Dans Gn 2,23-25, l'homme et la femme émergent, proprement à "l'origine" même, avec cette conscience de la signification de leur propre corps. Ceci mérite une analyse approfondie.

2. Si. dans ses deux versions, celle du premier chapitre et celle, yahviste, du deuxième chapitre, le récit de la création de l'homme nous permet d'établir la signification originelle de la solitude, de l'unité et de la nudité, il nous donne aussi de ce fait même la possibilité de nous retrouver sur le terrain d'une anthropologie adéquate qui cherche à comprendre et à interpréter ce qui est essentiellement humain. (*)

(*) Le concept d'"anthropologie adéquate" a été expliqué dans le texte même comme "compréhension et interprétation de l'homme en ce qui est essentiellement humain". Ce concept détermine le principe même de réduction, propre à la philosophie de l'homme, indique les limites de ce principe et, indirectement, exclut que l'on puisse franchir ces limites. L'anthropologie "adéquate" s'appuie sur l'expérience essentiellement "humaine", s'opposant au "réductionisme" de type "naturaliste" qui va souvent de pair avec la théorie de l'évolution au sujet des origines de l'homme.

Les textes bibliques contiennent les éléments essentiels de cette anthropologie, éléments qui se manifestent dans le contexte théologique de l'"image de Dieu". Ce concept contient en soi la racine même de la vérité sur l'homme révélée par cette "origine" dont le Christ, dans son entretien avec les pharisiens Mt 19,3-9 se réclame en parlant de la création de l'être humain comme homme et comme femme. Il faut se rappeler que toutes les analyses que nous faisons ici se rattachent précisément, au moins indirectement, à ces paroles. L'être humain que Dieu a créé homme et femme porte "dès l'origine" l'image divine imprimée dans son corps: homme et femme, cela constitue comme deux manières diverses pour l'humain d'"être corps" dans l'unité de cette image.
Il convient maintenant de revenir à ces paroles fondamentales dont le Christ s'est servi, c'est-à-dire au mot "créa", au sujet "Créateur", introduisant dans les considérations faites jusqu'à présent une nouvelle dimension, un nouveau critère de compréhension et d'interprétation que nous appellerons "herméneutique du don". La dimension du don décide de la vérité essentielle et de la profondeur de signification de l'originelle solitude-unité-nudité. Elle se trouve également au coeur même du mystère de la création qui nous permet de construire la théologie du corps "dès l'origine", mais exige en même temps que nous la construisions proprement de cette manière.

3. Le terme "créa", sur les lèvres du Seigneur, contient la même vérité que celle que nous trouvons dans le Livre de la Genèse. Le premier récit de la création répète plusieurs fois ce terme, de Gn 1,1 ("Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre") à Gn 1,27 ("Dieu créa l'homme à son image") (*) Dieu se révèle surtout comme Créateur. Le Christ se réclame de cette révélation fondamentale contenue dans le Livre de la Genèse. Le concept de création y trouve toute sa profondeur non seulement métaphysique mais aussi pleinement théologique. Le Créateur est celui qui "appelle à l'existence hors du néant" et établit dans l'existence le monde, et l'homme dans le monde, "parce qu'il est amour" 1Jn 4,8. A vrai dire, nous ne trouvons pas ce mot "amour" (Dieu est amour) dans le récit de la création; ce récit, toutefois, répète souvent: "Dieu vit tout ce qu'il avait fait et voici que c'était très bien." Ces paroles nous font entrevoir dans l'amour le motif divin de la création, comme la source dont elle jaillit: Seul l'amour en effet engendre le bien et se complaît dans le bien . Aussi la création comme action de Dieu, ne signifie-t-elle pas seulement le fait d'appeler à l'existence hors du néant et d'établir l'existence du monde et de l'homme dans le monde, mais signifie aussi, suivant le premier récit, "berêshîth bârà", donation: une donation fondamentale, "radicale", c'est-à- dire une donation dont le don jaillit précisément du néant.

(*) Le terme hébreu "bârâ" - créa, employé exclusivement pour déterminer l'action de Dieu - apparaît uniquement dans le récit de la création au verset 1 (création des cieux et de la terre), au verset 21 (création des animaux) et au verset 27 (création de l'homme); mais ici, il apparaît même trois fois. Ceci signifie la plénitude et la perfection de cet acte qui est la création de l'être humain, homme et femme. Cette répétition indique que l'oeuvre de la création a atteint ici son point culminant.

4. La lecture des premiers chapitres de la Genèse nous introduit dans le mystère de la création, c'est-à-dire du commencement du monde par volonté de Dieu qui est tout- puissant et amour. Par conséquent, chaque créature porte en soi le signe du don originel fondamental.
Toutefois, le concept de donner ne peut en même temps se référer à du néant. Il indique celui qui donne et celui qui reçoit le don et, également, la relation qui s'établit entre eux. Or, cette relation émerge du récit de la création au moment même de la création de l'homme. Cette relation se manifeste surtout dans l'expression "Dieu créa l'homme à son image; à l'image de Dieu; il le créa" Gn 1,27. Dans le récit de la création du monde visible, "donner" n'a de sens que respectivement à l'homme. Dans toute l'oeuvre de la création, c'est de lui seul qu'on peut dire qu'il a été gratifié d'un don: le monde visible a été créé "pour lui". Le récit biblique de la création nous offre assez de motifs pour le comprendre et l'interpréter ainsi: la création est un don, parce qu'en elle apparaît l'homme qui, comme image de Dieu, est capable de comprendre le sens même du don dans l'appel à l'existence hors du néant. Et il est capable de répondre au Créateur avec le langage de cette compréhension. Interprétant donc avec un tel langage le récit de la création, on peut en déduire qu'elle constitue le don originel et fondamental: l'homme apparaît dans la création comme celui qui a reçu le monde en don et, vice-versa, on peut dire aussi que le monde a reçu l'homme en don.
A ce point, il faut que nous interrompions notre analyse. Ce que nous avons dit jusqu'à présent est en étroite relation avec l'ensemble des problèmes anthropologiques de "l'origine". L'homme y apparaît comme "créé", c'est-à-dire comme celui qui a reçu, au milieu du monde, l'autre être humain en don. C'est précisément cette dimension du don que nous devons, par la suite, soumettre à une profonde analyse pour comprendre également, à sa juste mesure, la signification du corps humain. Ce sera l'objet de nos prochaines méditations.

- Le 2 janvier 1980

 

 
 

 

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