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Le Pape part à la chasse aux lapins

Le Pape part à la chasse aux lapins

« Certains pensent que pour être de bons catholiques, il faut se comporter comme des lapins, mais ce n’est pas le cas ». C'est ainsi que le Pape François a dégommé une idée reçue les plus courante sur la conception catholique de la famille. 

Le pape François : "Il faut une paternité responsable"

Si le ball-trap des idées reçues associé au vocabulaire - toujours fleuri - du Pape est assez jouissif, il est utile de préciser que cette sortie pontificale ne constitue pas une modification de l'enseignement de l'Eglise. Mais qu'elle est bienvenue, notamment dans une époque contaminée par la morale d'obligation, qui touche aussi bien notre époque athée que les sphères traditionnalistes de l'Eglise. 

La « paternité responsable», antithèse de la morale d'obligation

Pour résumer l'enseignement de l'Eglise : la procréation et l'éducation des enfants fait partie intégrante des finalités essentielles1 du mariage, ce qui est résumé par l'expression d'« ouverture à la vie ». Cette ouverture n'est pas une invitation à laisser le hasard2 décider du nombre d'enfants, mais à envisager régulièrement - en couple - s'il serait raisonnable ou non d'accueillir un enfant de plus. Charge aux couples de prendre ensuite des moyens justes3 pour atteindre la fin qu'ils se sont donnée (avoir un enfant ou non). 

Notre société aime la loi. Elle croit d'ailleurs que c'est elle qui est le fondement de la morale (voyez, par exemple, la morale selon Charlie : « si c'est légal, je peux le dire »). Voilà la morale d'obligation : ce n'est pas la contemplation du bien qui détermine mon agir, mais la puissance (Etat, Dieu, Pape, caïd du coin) qui impose la loi.

L'enseignement moral de l'Eglise est assez différent. Pour elle, notre conscience ne délibère pas sur un mode hypothético-déductif4 mais compositif : chacun délibère selon les circonstances qui sont les siennes sur le bien qu'il peut faire. Cela ne signifie pas que le bien soit subjectif (certaines choses sont toujours bonnes et d'autres toujours mauvaises) et d'ailleurs, l'enseignement de l'Eglise est là pour présenter à la conscience cette vérité du bien. Mais cela signifie que la perfection d'un acte ne dépend pas seulement de son objet, mais aussi des circonstances et de ma capacité à agir.

Un exemple : dire la vérité est, objectivement, un bien. C'est insulter l'intelligence d'autrui (qui est don de Dieu) que de le priver de la vérité. Mais les circonstances (révéler la cachette de juifs que j'ai caché de la gestapo) ou mon intention (nuire à mon voisin) peuvent rendre mauvais l'acte de dire la vérité5.

Revenons à nos moutons lapins enfants. L'Eglise, par la voix de Paul VI 6 dans Humanae Vitae (n°10), dit ceci : 

 la paternité responsable s'exerce soit par la détermination réfléchie et généreuse de faire grandir une famille nombreuse, soit par la décision, prise pour de graves motifs et dans le respect de la loi morale, d'éviter temporairement ou même pour un temps indéterminé une nouvelle naissance

Quelques réflexions sur ce passage :

1. Quelles sont ces "graves motifs" (traduisez "raisons sérieuses" en français courant) ? La mentalité habituée à la morale d'obligation s'attend à voir une liste où il suffira de piocher. Mais de liste, l'Eglise n'en donne pas : c'est volontaire et, j'ajoute, sage. Car ce qui peut être bénin pour un couple peut représenter un vrai péril pour un autre.

Un couple vivra facilement la fatigue de l'éducation tandis qu'elle mettra KO, dès le premier marmot, le couple d'à-côté ; l'un ne vivra pas de diffculté à donner à chacun l'affection qu'il lui faut, l'autre aura l'impression de toujours manquer de temps ; une femme se remettra facilement de ses grosseses, l'autre non ; l'une aura besoin pour son équilibre d'une activité professionnelle, l'autre s'épanouira dans son foyer, etc. 

2. L'Eglise ne s'immisce pas non plus dans la délibération des époux : « Ce jugement, ce sont en dernier ressort les époux eux-mêmes qui doivent l'arrêter devant Dieu » disait déjà Gaudium et Spes (n°50 §2)7 en décembre 1965. Autrement dit : ce n'est ni au curé, ni à l'accompagnateur spirituel, ni... personne de se mettre à la place des époux. Les pasteurs ont toutefois le devoir de les éclairer « avec prudence et discrétion »8.

3. La décision peut être prise "temporairement ou pour un temps indéterminé". Cela signifie que, si elle ne peut être définitive (il faut au moins accepter de se poser la question de temps en temps), il n'y a pas non plus de délai "maximum" et ce n'est pas parce qu'on prend régulièrement, depuis 10 ans, la décision d'éviter une nouvelle naissance qu'on est dans une mentalité contraceptive, si les raisons graves qui entraînent la décision se maintiennent.  

Pour résumer : non, le Pape n'a rien contre les familles nombreuses, si leur nombre procède d'une ouverture généreuse et responsable. Et oui, on peut décider pour de justes raisons d'espacer des naissances et dormir la conscience tranquille.

[Edition du 21 janvier, 11h30]
Ce billet a pour but de clarifier la compréhension - intellectuelle - de l'enseignement de l'Eglise. La relative simplicité de ce qui précède ne doit pas masquer que la mise en pratique de ce discernement est une tâche difficile, puisqu'elle demande au couple de savoir reconnaître avec humilité ses limites, de s'interroger sincèrement sur ses motivations (le souhaite de ne pas avoir d'enfant peut être causé par l'égoïsme aussi bien qu'une motivation plus juste). Cette tâche nécessite de prendre du temps, de dialoguer, de prier, d'être accompagnés... 

  • 1. qui appartiennent en propre ; en l'absence d'intention de fécondité, il n'y a pas mariage.
  • 2. même astucieusement déguisé sous les traits de la Providence
  • 3. ce qui exclut la contraception, mais ce n'est pas le sujet du billet
  • 4. sur le mode du syllogisme, par exemple : « je suis marié, et la loi dit que les gens mariés doivent avoir des enfants, donc j'ai des enfants »
  • 5. à l'inverse, une intention bonne ne rend jamais bon un acte mauvais par son objet
  • 6. loué par François ces jours-ci
  • 7. L'extrait entier : «Les époux savent qu'ils sont les coopérateurs de l'amour du Dieu Créateur et comme ses interprètes. Ils s'acquitteront donc de leur charge en toute responsabilité humaine et chrétienne, et, dans un respect plein de docilité à l'égard de Dieu, d'un commun accord et d'un commun effort, ils se formeront un jugement droit: ils prendront en considération à la fois et leur bien et celui des enfants déjà nés ou à naître; ils discerneront les conditions aussi bien matérielles que spirituelles de leur époque et de leur situation; ils tiendront compte enfin du bien de la communauté familiale, des besoins de la société temporelle et de l'Église elle-même. Ce jugement, ce sont en dernier ressort les époux eux-mêmes qui doivent l'arrêter devant Dieu. Dans leur manière d'agir, que les époux chrétiens sachent bien qu'ils ne peuvent pas se conduire à leur guise, mais qu'ils ont l'obligation de toujours suivre leur conscience, une conscience qui doit se conformer à la loi divine; et qu'ils demeurent dociles au magistère de l'Église, interprète autorisée de cette loi à la lumière de l'Évangile.»
  • 8. cf. Vademecum pour les confesseurs

 
 

 
 

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