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Le Cantique des Cantiques

Le Cantique des Cantiques

Publié par Incarnare le vendredi 28/08/2009 - 12:26

L'amour érotique, nous dit le Pape, tient une place particulière dans l'art et la culture de par l'importance et la fréquence de ses apparitions. A ce titre, ajoute t-il, le Cantique des Cantiques, véritable célébration de l'amour érotique situé en plein coeur de la Bible, a "une signification toute particulière"1.

Il faut reconnaître, dit le Pape2, la logique de ce merveilleux texte qui libère radicalement notre façon de penser des éléments de manichéisme ou de considération non personnaliste du corps, et qui en même temps rend le langage du corps, contenu dans le signe sacramentel du mariage, plus proche de la dimension de la sainteté réelle.

Le fait que l'Écriture Sainte célèbre l'eros ne devrait pas nous surprendre : en effet, dans la mesure où nous sommes libres de la vision manichéenne, nous reconnaissons qu'un tel thème "contient un signe primordial et essentiel de la sainteté": le "corps parle"3. Si la sainteté permet à l'homme de s'exprimer profondément, par son corps et plus précisément par le don de soi, alors c'est dans nos corps que nous prenons conscience de notre appel à la sainteté.

Le Cantique est le livre préféré de nombre de mystiques : la poésie érotique qu'il contient leur donne en effet un langage - certes imparfait, mais moins imparfait qui soit - pour exprimer la passion brûlante de l'amour de Dieu.

 

Interpréter le Cantique des Cantiques

Bien que nous nous essayions ici à un commentaire des intuitions que Jean-Paul II nous a révélées sur ce livre, rappelons-nous que celui-ci ne peut être lu cérébralement et que nous devons en quelque sorte faire de la théologie 'à genoux', ancrés dans la prière.

"Tous les textes de l'Écriture sont inspirés par Dieu ; celle-ci est utile pour enseigner, dénoncer le mal, redresser, éduquer dans la justice", dit Saint-Paul4. Malheureusement, il s'est trouvé quelques ecclésiastiques pour croire que cela ne devait pas concerner le Cantique, dont la lecture a souvent été découragée voire interdite5.Mais il a été une source d'inspiration pour les grands mystiques et ses versets ont été repris par le liturgie de l'Église6. Le Cantique des cantiques nous apprend à aimer l'amour humain avec le regard de Dieu.

Le Cantique nous confirme que la grâce est une réalité incarnée, accessible par les sacrements. La grâce s'exprime non pas malgré le corps, mais par lui. Présentant la position de Dubarle, le Pape affirme qu'un amour humain fidèle et heureux révèle aux hommes les qualités de l'amour divin. D. Lys note que c'est un poème à la fois sexuel et sacré. Enlevez le sacré et le Cantique n'est qu'un banal poème érotique ; enlevez le sexuel et il n'est qu'une vague allégorie.

 

L'émerveillement du corps

Jean-Paul II décrit le Cantique des Cantiques comme un long développement de l'émerveillement originel d'Adam, lorsqu'il voit la femme pour la première fois7. Le point de départ de cette fascination qui traverse toute le livre est la féminité de la fiancée et la masculinité du fiancé, dont l'expérience se fait d'abord par le regard.

Dans le Cantique, continue le Pape, les "mots, mouvements et gestes des époux, leur comportement entier correspondent aux mouvements intérieurs de leur coeur"8 et leur coeur n'est qu'une flamme brûlant d'amour.

Cet émerveillement se manifeste par l'expérience du beau... même si les métaphores ne flatteraient sans doute aucune fiancée aujourd'hui9, leur force demeure. Lorqu'on avance dans le texte, les métaphores se taisent pour laisser place au langage du corps, mais un langage qui dans le désir de la beauté du corps révèle le désir d'une beauté intégrale :  "ouvre moi ma parfaite" ; "sans tache ni ride". 

Si dans le cantique, le fiancé voit sa fiancée plus avec les "yeux du corps" tandis qu'elle le contemple plus avec les "yeux du coeur", leur rapprochement et leur union montre un équilibre dans le désir mutuel. En ce sens, lorsque les époux s'appellent "mon frère" et "ma soeur", il ne s'agit pas ici d'inceste, mais simplement de reconnaître l'autre en tant que personne partageant la même humanité. La réponse de l'époux à cette fraternité dans la différence sexuelle est claire : n'éveillez pas, ne réveillez pas mon amour, avant l'heure de son bon plaisir.10

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Cette dimension de fraternité dans l'amour sexuel semble plus difficile à admettre pour les hommes que pour les femmes.. Considérer une "partenaire sexuelle" potentielle comme une soeur attaque douloureusement ce que la plupart des hommes semblent chercher dans la relation sexuelle : difficile en effet pour lui d'éprouver de la convoitise pour sa soeur. C'est précisément le but ! Il devrait également lui être difficile de convoiter sa fiancée.

Tenter de construire un mariage sans cette dimension de fraternité est semblable à vouloir construire une maison sur le sable.

 

La sincérité, source de dignité dans l'amour

La sincérité de l'amour des fiancés du Cantique leur permet de vivre leur intimité dans la sécurité et de la manifester sans craindre le jugement non ajusté des autres. Ils n'ont pas honte de leur amour car ils ont confiance dans sa pureté. Comme le dit la fiancée : "Te rencontrant dehors, je pourrais t'embrasser, sans que les gens me méprisent"11.Il ne s'agit en effet pas d'impudeur mais de pureté. De cette pureté du regard jaillit la paix du coeur  : "J'ai été à ses yeux comme celle qui trouve la paix"12.

Une seconde dimension de la personne révélée par le Cantique est son inviolabilité. Jean-Paul II la commente à partir de cet extrait : "Elle est un jardin bien clos, ma sœur, ô fiancée; un jardin bien clos, une source scellée". Il ne s'agit pas de faire ici l'apologie de la claustration ou du voile, au contraire. Ces métaphores sont des expressions de révérences devant la dignité personnelle du sexe féminin : ils expriment un respect pour le mystère du corps féminin et - puisque le corps exprime la personne - pour la personnalité féminine.

Seule la femme possède la clé de son propre jardin. Comme dit Jean-Paul II : "la fiancée se présente aux yeux de l'homme comme la maîtresse de son propre mystère"13. Ainsi la communion des personnes ne peut se vivre que dans la liberté du don. Face à ce mystère, l'homme ne force pas la porte, il frappe et initie le don : "J'entends mon bien-aimé qui frappe. Ouvre-moi, ma sœur, mon amie, ma colombe, ma parfaite! "14.

Ce n'est pas sans le consentement de sa fiancée à ouvrir sa porte que le fiancée "passe sa main par la fente"15. En effet, elle sait qu'il la désire elle, dans toute sa personne, et non pas une réduction à quelques attributs physiques. Elle ouvre donc son jardin et le lui donne. "Lève toi vent du nord, accours vent du sud :  soufflez sur mon jardin, que ses parfums s'écoulent ! Que mon bien-aimé entre dans son jardin et en goûte les délices"16.

Lorsque l'amour est vécu pleinement ("J'entends mon bien-aimé qui frappe. " Ouvre-moi, ma sœur, mon amie, ma colombe, ma parfaite!"17), la joie qui en jaillit est extrême : le plaisir des époux qui éprouvent un désir saint est bon, très bon. Preuve en est que le Cantique n'hésite pas à le décrire sans fard, dans toute se sensualité : "Mon bien-aimé a passé la main par la fente, et pour lui mes entrailles ont frémi"18.

 

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Au seuil du jardin...

S'il faut endurer de longs combats pour laisser le Christ purifier nos désirs, s'il faut passer en quelque sorte par le crucifixion pour que le Christ ressuscite notre désir dans sa pureté originelle, les délices d'une sexualité vécue en harmonie avec la pureté du coeur en valent tant la peine !

En parlant de l'appel de chaque chrétien à entrer mystiquement dans ce "jardin fermé", Saint Louis Marie Grignon de Montfort dit : "Mais qu'il est difficile à des pécheurs comme nous sommes d'avoir la permission et la capacité et la lumière pour entrer dans un lieu si haut et si saint. [...] quelques-uns s'arrêteront au seuil, ce sera le plus grand nombre; quelques-uns, en petit nombre, entreront mais n'y feront qu'un pas. Qui fera le second? Qui parviendra jusqu'au troisième? Enfin, qui est celui qui y demeurera ? Celui-là seul, à qui l'Esprit de Jésus-Christ révélera ce secret"19

A moins de soupçonner Louis de Montfort de gnosticisme20 reconnaissons que le secret dont il nous parle nous est murmuré dans l'Écriture Sainte, à ceux qui ont des oreilles pour entendre, et particulièrement dans le Cantique des Cantiques. Saint Louis de Montfort écrit en effet : "Heureuse et mille fois heureuse est l'âme ici-bas, à qui le Saint-Esprit révèle le secret de Marie pour le connaître; et à qui il ouvre ce jardin clos pour y entrer, et cette fontaine scellée pour y puiser et boire à longs traits les eaux vives de la grâce! Cette âme ne trouvera que Dieu [...] infiniment saint et exalté, en même temps S'adaptant infiniment à sa faiblesse."21

Seule la grâce divine nous soutient dans ce pélerinage. Jean-Paul II écrit22 :

Il s'agit d'un chemin totalement soutenu par la grâce, qui requiert toutefois un fort engagement spirituel et qui connaît aussi de douloureuses purifications (la « nuit obscure »), mais qui conduit, sous diverses formes possibles, à la joie indicible vécue par les mystiques comme « union sponsale ». Comment oublier ici, parmi tant de témoignages lumineux, la doctrine de saint Jean de la Croix et de sainte Thérèse d'Avila?

 

Remarquons que les époux sortent de cette union grandis et non souillés. L'épouse est toujours inviolée car elle reste maître de son mystère. Les époux se donnent en s'appartenant. Jean-Paul II affirme : "Quand l'épouse dit Mon bien-aimé est mien elle veut dire en même temps C'est celui à qui je me confie, c'est pourquoi elle continue et je suis sienne23.

De la même manière, notre appel à une appartenance au Christ n'est pas un appel à l'abolition de la personne et de sa liberté : le Christ nous respecte comme sa fiancée. Si Dieu a un plan pour nous, des objectifs, il nous les fait connaître et nous donne la liberté de les faire nôtres ou de les rejeter. La rédemption ne nous sera jamais imposée mais proposée24.

 

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Sensualité et spiritualité

Nous tendons à considérer les sens avec suspicion, car c'est par leur médiation que nous ressentons la concupiscence, et par eux qu'elle s'exprime. Cepandant, rappelons-nous que c'est le coeur qui convoite, non les sens.

Les sens à appellent à la communion. Le Cantique des Cantiques est rempli d'évocations des sens, notamment la vue, le goût et l'odorat, le toucher. Que disent ces sens, que disent les baisers, sinon le désir de goûter l'autre, de la "consommer" ? Le Christ nous appelle : "goûtez et voyez"25. Cet appel est pleinement révélé dans le liturgie eucharistique : la beauté de la liturgie, la senteur de l'encens, l'éclat des cierges, parlent à nos sens ; plus encore, le plus grand désir du Christ est que nous mangions sa chair et buvions son sang

Eros et agapè

Quelle est, dans le Cantique, la relation entre eros (l'amour humain, érotique) et agapè (l'amour divin, sacrificiel) ? Rappelons-nous qu'eros n'est pas l'amour corrompu par le péché, mais que s'il est bien orienté, il tend l'être vers ce qui est vrai, beau et bon. Mais pour cela, il doit s'ouvrir à agapè.

L'eros est en effet cette part de l'homme qui désire plus : il est un "processus de tension et de recherche"26 nous dit Jean-Paul II, qui est clairement visible dans le Cantique27. Cette recherche a une dimension intérieure: le coeur veille même dans le sommeil :

Sur ma couche, la nuit, j'ai cherché celui que mon cœur aime. Je l'ai cherché, mais ne l'ai point trouvé! Je me lèverai donc, et parcourrai la ville. Dans les rues et sur les places, je chercherai celui que mon cœur aime. Je l'ai cherché, mais ne l'ai point trouvé!

J'ai ouvert à mon bien-aimé, mais tournant le dos, il avait disparu! Sa fuite m'a fait rendre l'âme. Je l'ai cherché, mais ne l'ai point trouvé, je l'ai appelé, mais il n'a pas répondu! Je suis malade d'amour. .

En se surpassant, eros parvient à la dimension totale du don de sa vie et rejoint agapè.

 

L'amour, total et fidèle

  Pose-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras. Car l'amour est fort comme la Mort, la passion inflexible comme le Shéol. Ses traits sont des traits de feu, une flamme de Yahvé. Les grandes eaux ne pourront éteindre l'amour, ni les fleuves le submerger. Qui offrirait toutes les richesses de sa maison pour acheter l'amour, ne recueillerait que mépris.28

L'amour vrai est nécessairement fidèle car il ne consume pas la personne, ne l'épuise pas, mais la découvre plus profondément chaque jour. La fidélité des époux est signe de l'amour de Dieu, fort comme la mort et que même les grandes eaux ne peuvent éteindre.

L'amour est également total : il dépasse en valeur tout autre bien. Lorsque le Christ, totalement donné pour son Épouse sur la croix, est sur le point de mourir, il déclare, selon certaines traductions de la Bible, "tout est consommé"29.

Extase de Sainte-Thérèse, Bernini

La passion de Jésus sur la croix est certainement l'assaut de la haine et la mort sur sa personne, du dehors. Mais elle est également don total de sa personne, explosion d'amour qui vient de l'intérieur. Ses blesures sont des blessures de haine mais aussi des blessures d'amour. Notre coeur bat à l'écho de cette explosion que nous ne pouvons contenir.

Marie a vécu quelque chose de ce mystère : en acceptant de recevoir dans son corps Celui que l'univers ne peut contenir, elle a accepté également que son coeur soit transpercé par l'épée30. L'Extase de Sainte-Thérèse (à droite) est une illustration frappante de ces blessures d'amour

Limites du langage du corps

Selon Jean-Paul II, eros connaît trois limites :

  1. La première est la faiblesse du corps : le corps n'est pas à même d'exprimer la pleine puissance de l'amour, qui est plus grande que lui. L'Amour Infini implique un corps blessé, à l'image des blessures du Christ.
    Comment dépasser cette limite ? justement en accueillant ces blessures, en reconnaissant la faiblesse de notre corps. Cette faiblesse acceptée humblement devient elle-même une sorte de langage du corps. Lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort, nous dit Saint-Paul31. Il nous faut entrer dans l'esprit du serviteur inutile32 et passer par la petite voie de Sainte-Thérèse de Lisieux33.
  2. La seconde est la perspective de la mort. L'expression corporelle de l'amour s'éteint avec la mort ; d'ailleurs les époux sont mariés jusqu'à ce que la mort les sépare, dit-on. Eros survit-il à la mort ? On l'a vu, il est une flamme du Seigneur que les grandes eaux ne peuvent éteindre[fn]Ct 8,6-7: si l'eros s'ouvre à la flamme de l'amour-agapè alors il survit : l'Amour ne passera pas34.
  3. La troisième est la jalousie. En effet, celle-ci exige l'exclusivité de l'amour. Dans cette vie, l'amour parfait ne peut être recherché qu'avec une seule personne (car l'aveuglement du péché et de la concupiscence nous entrainent facilement à anonymiser les corps pour les réifier). Il nous est difficile d'imaginer une réelle communion de personnes qui soit plus étendue. En s'ouvrant à agapè, l'amour devient "patient et doux, il n'est pas jaloux"35.

En résumé, l'ultime communion de personnes ne peut être atteinte qu'en Dieu. Si eros veut devenir signe de la communion en Dieu, il doit rejoindre agapè. La liturgie est précisément cette rencontre entre le divin et l'humain. C'est l'objet du chapitre suivant.

 
 

 

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La presse se fait l'écho d'un livre du journaliste Ekke Overbeek indiquant que Karol Wojtyła, futur Pape Jean-Paul II (et aujourd'hui Saint Jean-Paul II) aurait avant son élection pontificale, en tant qu'archevêque de Cracovie, eu connaissance de témoignages de faits de pédo-criminalité (la presse ne relaie ni le nombre ni la nature des faits) et n'aurait pas apporté la réponse appropriée (à savoir le signalement des faits aux autorités civiles et le déclenchement d'une enquête canonique aboutissant au renvoi à l'état laïc des malfaiteurs).