Au coeur de l'homme : l'homme historique

Après avoir réfléchi sur notre identité et notre vocation en faisant référence au commencement, au temps de notre création, Jean-Paul II a consacré 40 catéchèses (TDC 24 à 63) à la manière dont nous vivons notre corporéité aujourd'hui, dans un monde affecté par le péché.

N'ayons pas peur de constater comment nous nous sommes éloignés de ce commencement : ce n'est qu'en réalisant à quel point cette mauvaise nouvelle est mauvaise que nous prendrons conscience à quel point la Bonne Nouvelle est bonne ! La bonne nouvelle, c'est que l'homme n'est pas uniquement influencé par le péché : il a également été sauvé par le Christ qui nous donne la force de regagner ce qui a été perdu.

Le Pape base de nouveau ses réflexions sur les paroles du Christ, dans le Sermon sur la Montagne, à propos de l'adultère commis "dans le coeur". Nous verrons que ses mots ne condamnent pas le désir ou l'Eros.

L'homme historique vit entre le temps des origines dont il s'est éloigné par le péché et le temps des fins dernières promis et inauguré par le Christ : si avec le Christ, nous sommes déjà ressuscités, cette resurrection est encore à venir. Nous vivons cette tension du "déjà, mais pas encore"1 : nous devons encore lutter avec la concupiscence, mais nous déjà remporter des victoires dans cette lutte.

La Bonne Nouvelle est que le Christ accomplit ce qu'il propose : "le précepte qui interdit l'adultère devient une invitation à un regard pur, capable de respecter le sens sponsal du corps"2 Jean-Paul II nous interpelle : "devons nous craindre la sévérité de ces mots ou plutôt avoir confiance dans leur puissance salvifique ? "3

Apprenons avec le Pape à discerner dans notre vie d'hommes et de femmes 'dans l'Histoire' le sens de notre sexualité et la beauté et l'accessibilité de l'appel de Dieu :

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A la lumière du Sermon sur la Montagne

 Je vous le dis en effet : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux. [...] Vous avez appris qu'il a été dit : Tu ne commettras pas d'adultère. Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme et la désire a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur1

Le Christ, dans ce passage, corrige l'application faite de la loi de Moïse par les scribes et les pharisiens. Ceux qui l'écoutent alors sont des juifs qui ont grandi en apprenant à respecter cette loi. Et, dans les faits, il faut supposer qu'ils la respectent, les peines encourues étant très importantes (le Lévitique prescrit la mort pour les deux fautifs2). 

Que dénonce alors le Christ dans ce sermon sur la montagne ? Précisément, leur interprétation de la loi. Cette interprétation est biaisée (souvenons nous que lorsque la femme adultère sera amenée au Christ, l'homme adultère est introuvable dans le passage...) mais surtout elle est très littérale : les scribes et les pharisiens n'ont pas réalisé le but de la loi de Moïse. 

L'adultère, d'abord "dans le coeur"

L'exemple biblique par excellence de l'adultère est l'attitude du roi David envers Bethsabée3: le texte est assez subtil puisque Davidaperçut une femme en train de se baigner. Cette femme était très belle. Juste après, l'on apprend que Bethsabée conçut; et elle fit savoir à David : "je suis enceinte". On connaît l'issue funeste pour Ourias le Hittite, mari légitime de Bethsabée, envoyé au front pour masquer l'adultère. 

La définition traditionnelle de l'adultère est l'existence d'une relation sexuelle entre un homme et une femme dont l'un est marié à un tiers. La convoitise, elle, se situe à un autre niveau ; elle est liée au regard. Le Christ veut faire entrer ceux qui l'écoutent dans une compréhension nouvelle de la loi de Moïse : pour ce faire il établit un lien entre la convoitise et l'adultère.

L'exemple de David et Bethsabée est éloquent : la convoitise a poussé David à l'adultère. L'adultère est une réalité vécue d'abord dans le coeur. Quand le Christ conclut son Sermon sur la Montagne par "Vous donc soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait", il indique une réalité que le Catéchisme4 résume ainsi :

 Observer le commandement du Seigneur est impossible s’il s’agit d’imiter de l’extérieur le modèle divin. Il s’agit d’une participation vitale et venant " du fond du cœur ", à la Sainteté, à la Miséricorde, à l’Amour de notre Dieu.

L'Ecritude et notre propre expérience nous montrent qu'il est possible de vivre dans l'observance stricte de la loi sans pour autant jamais grandir dans la sainteté. C'est le légalisme et le moralisme. En liant convoitise et adultère, le Christ ne fait pas preuve de rigorisme mais il montre que l'important est la fidélité du coeur à la vocation de l'homme. Le Christ accomplit pleinement la promesse de Dieu5 :

 Voici venir des jours, déclare le Seigneur, où je conclurai avec la maison d'Israël et avec la maison de Juda une Alliance nouvelle. [...] Voici quelle sera l'Alliance que je conclurai avec la maison d'Israël quand ces jours-là seront passés, déclare le Seigneur. Je mettrai ma Loi au plus profond d'eux-mêmes ; je l'inscrirai dans leur coeur.

En agissant ainsi, Jésus en appelle à l'homme intérieur, parfois avec véhémence : "Pharisien aveugle, purifie d'abord l'intérieur de la coupe, afin que l'extérieur aussi devienne pur"6 Une interprétation légaliste juge les actes sans s'inquiéter de la droiture du coeur... quand la question n'est plus "qu'est ce qui est profitable ?" mais "qu'est ce qui est permis ?"7 alors on finit par faire un compromis avec le péché, par se dire "je peux être infidèle jusqu'à tel point"89.

Ce compromis avec la concupiscence est dangereux dans la mesure où il crée une suspicion plus largement sur la chair et la sexualité, alors que le péché vient du coeur de l'homme10. Cette suspicion du corps qui en résulte est véritablement au coeur du plan de Satan pour nous détourner de Dieu. Ainsi, l'éthique ne vaut rien si elle ne nourrit pas l'ethos, le désir profond de notre coeur

 

Jésus venu pour accomplir, non abolir

Faut-il pour autant renoncer à l'éthique, à la loi morale ? Cette seconde tentation est récusée par le Christ au tout début de ce discours, juste après avoir proclamé les béatitudes:

  Ne pensez pas que je suis venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir.11

La loi est utile mais ne doit pas être considérée comme le but ultime, c'est à dire idolâtrée : le Catéchisme l'indique12 : "Selon la tradition chrétienne, la Loi sainte (cf. Rm 7, 12), spirituelle (cf. Rm 7, 14) et bonne (cf. Rm 7, 16) est encore imparfaite. Comme un pédagogue (cf. Ga 3, 24) elle montre ce qu’il faut faire, mais ne donne pas de soi la force, la grâce de l’Esprit pour l’accomplir.

Accomplir vient du latin complere, qui signifie remplir. C'est ce que fait le Christ : en nous remplissant de l'Esprit, il nous donne la rédemption et nous permet de vivre la loi nous pas comme une contrainte extérieure, mais comme un désir profond de vivre la fidélité au Don.

Le problème n'est pas seulement l'adultère mais le fait que nous désirons commettre l'adultère. Si notre coeur était pur, la pensée de l'adultère nous serait désagréable. Si nous étions sous la conduite de l'Esprit, ne serions pas sous l'esclavage de la loi, car nous serions libre de liberté du Christ : cette liberté n'est un "permis de pécher" : elle désire ce qui est beau, choisit ce qui est bon et ainsi accomplit la loi.

Pour nous pécheurs, cette disposition d'esprit ne nous paraît pas naturelle et il nous faut, pour y arriver, faire un véritable passage, une Pâque, qui implique une mort à soi-même13 (que Saint Paul appelle la crucifixion de la chair14) pour entrer dans une logique, une économie nouvelles. 

Ce passage est douloureux car il implique de faire totalement confiance à Dieu et s'abandonner à Lui, ce à quoi notre être pécheur se refuse absolument - c'est même l'essence du péché originel ! On arrive ici au sens profond de la concupiscence (jusqu'ici identifiée à la convoitise et donc restreinte au domaine sexuel) décrite par le Catéchisme15 :

 Au sens étymologique, la " concupiscence " peut désigner toute forme véhémente de désir humain. La théologie chrétienne lui a donné le sens particulier du mouvement de l’appétit sensible qui contrarie l’œuvre de la raison humaine. L’Apôtre S. Paul l’identifie à la révolte que la " chair " mène contre l’ "esprit " (cf. Ga 5, 16. 17. 24 ; Ep 2, 3). Elle vient de la désobéissance du premier péché (Gn 3, 11). Elle dérègle les facultés morales de l’homme et, sans être une faute en elle-même, incline ce dernier à commettre des péchés (cf. Cc. Trente : DS 1515).

Dans notre vie chrétienne, l'Adversaire veille et ne cesse de nous frapper : il veut nous amener à un "angélisme rigoriste" ou un "permissivisme animal". Pour cela, sa tactique favorite est de nous ôter l'espérance d'arriver un jour à complètement nous débarrasser de la convoitise. Il est bon de nous rappeler alors que les plus grands saints vivaient également cette tension, et qu'ils la vivaient humblement comme un appel à se confier toujours plus dans la miséricorde de Dieu.16.

 

La loi "dans les coeurs" et l'anthropologie

La loi ainsi comprise n'est pas une norme objective ou un ensemble de commandements et de préceptes. Elle appelle le coeur humain et, s'il se laisse purifier par le Christ, en jaillit. Ainsi chacun en vient à développer une norme subjective, sans pour autant entrer en conflit avec la Vérité, puisqu'elle correspond ultimement à notre vocation à entrer dans le Don.

  • 1. Mt 5, 20;27-28
  • 2. Lv 20,10
  • 3. en 2Sa 11
  • 4. CEC 2842
  • 5. Jr 31:31-33
  • 6. Mt 23,26 : ne serait-il pas bon pour chacun d'entre nous que le chapitre tout entier nous soit proclamé plus souvent ?!
  • 7. cf. 1Co 6,12
  • 8. Cette attitude constitue aussi un contre-témoignage parfait, comme ces "fidèles" (fustigés - à raison - par Linda Lemay dans Je suis grande) qui s'offrent un péché dès lors qu'il est véniel... et pensent ainsi "gagner leur ciel" !
  • 9. Dans l'Associé du diable, Satan essaie de convaincre l'avocat du sadisme de Dieu, qui aurait créé le monde avec des règles perverses comme : "Regarde, mais surtout ne touche pas. Touche, mais surtout ne goûte pas ! Goûte, n’avale surtout pas !" : voilà à quoi condamne le légalisme, à l'opposé du plan de Dieu !
  • 10. Mc 7,21... encore un passage sur l'hypocrisie ! Comment se fait-il que cette parole ne nous frappe pas plus ?
  • 11. Mt 5, 17
  • 12. CEC 1963
  • 13. CEC 2555 : "Les fidèles du Christ " ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises " (Ga 5, 24) ; ils sont conduits par l’Esprit et suivent ses désirs."
  • 14. N'allons pas pour autant croire trop vite que Saint-Paul est suspicieux envers le corps
  • 15. CEC 2515
  • 16. Lc 18,27 : Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu
- adultère - légalisme - rigorisme - moralisme - loi

L'homme de concupiscence

Selon Jean-Paul II1, c'est une déclaration de Saint-Jean2 qui résume le mieux la situation de l'homme historique :

  Tout ce qu'il y a dans le monde - les désirs égoïstes de la nature humaine, les désirs du regard, l'orgueil de la richesse - tout cela ne vient pas du Père, mais du monde. Or, le monde avec ses désirs est en train de disparaître. Mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure pour toujours.

Le Pape précise que le 'monde' qui contient ces trois types de convoitises- le désir égoïste, le désir du regard et l'orgueil de la richesse - ne s'identifie pas au monde créé, qui était "très bon", mais de la société, du monde que l'homme a déformé en enlevant l'amour qui faisait ses fondations.

 

De l'innocence à la concupiscence

Comment cette transition de l'innocence à la concupiscence s'opère t-elle ? Jean-Paul II invite à s'intéresser au moment clé que constitue le dialogue entre le serpent et la femme : ce dialogue commence par un mensonge3, mais intéressons-nous à l'apogée de ce dialogue. Le serpent parle4 :

Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal.

Le Pape porte notre attention sur le fait que "la motivation [du serpent] est le discrédit sur le Don et l'Amour qui est à l'origine du don de la création"5 En d'autres termes, le serpent dit ceci : "Dieu ne t'aime pas vraiment, il n'a pas réellement l'intention de te donner sa vie - en fait il veut spécifiquement t'en tenir écarté : si tu veux devenir comme lui, tu dois l'obtenir par toi-même.". 

L'homme doit faire un choix. Entre l'ouverture au don et la cupidité. St Maxime le Confesseur nous dit qu'il a voulu être comme Dieu, mais sans Dieu et avant Dieu mais non pas selon Dieu. Ll’homme s’est préféré lui-même à Dieu, et par là même, il a méprisé Dieu : il a fait choix de soi-même contre Dieu, contre les exigences de son état de créature et dès lors contre son propre bien. Constitué dans un état de sainteté, l’homme était destiné à être pleinement " divinisé " par Dieu dans la gloire.6

Nous sommes toujours tentés de nous saisir par nous-même de ce que Dieu veut nous donner ; et Dieu est là, appelant sans cesse "j'ai soif". Soif de toi. Entendons ce qu'il dit à la Samaritaine : « Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : 'Donne-moi à boire', c'est toi qui lui aurais demandé, et il t'aurait donné de l'eau vive. »7 « Frères, ayez entre vous les dispositions que l'on doit avoir dans le Christ Jésus: lui qui était dans la condition de Dieu, il n'a pas jugé bon de revendiquer son droit d'être traité à l'égal de Dieu »8.

Zoom...

Si l'on se souvient de ce qu'on a pu dire ici sur la signification profonde de la connaissance, on pose un regard très différent sur la phrase du serpent : "vous connaîtrez le bien et le mal". Adam connaissait déjà le bien, mais qui voudrait donc ainsi connaître le mal ? Non pas simplement théoriquement, connaître ce qui est bien et ce qui est mal, mais réellement épouser le mal ? Saisir le fruit défendu n'est pas une simple curiosité, mais un choix délibéré de vivre sans Dieu. 

 

La paternité de Dieu

Dans Franchir le seuil de l'espérance le Pape l'affirme avec force : "Voici la clé pour interpréter la réalité [...]: le péché originel tente de détruire la paternité".

Nous comprenons maintenant mieux la prière que Jésus nous a enseigné : "Notre Père". Elle est la réponse au tentateur : Notre Père, que to nom soit sanctifié ! Face à la tentation de partir loin de Dieu, le premier homme et la première femme auraient dû répondre : Que le règne de Dieu vienne et que Sa volonté soit faite sur cette terre comme au ciel ! Face à la tentation de vivre par et pour eux-mêmes, il auraient dû répondre : Dieu va nous donner notre pain de ce jour : nul besoin de s'en saisir ! En définitive dans cette bataille avec l'Anti-Verbe, ils auraient dû appeler Dieu :Garde-nous de la tentation et délivre-nous de celui qui veut le mal.
Peut-être comprenons-nous mieux quand le Catéchisme nous dit que le Notre Père résume tout l'Évangile9.

 

L'irruption de la honte

Satan avait promis à Adam et Ève de leur rendre la vue, leur suggérant ainsi que Dieu les avait créés aveugles. Lorsqu'ils ont trahi la confiance de Dieu, leurs yeux s'ouvrent bel et bien mais ils réalisent que Dieu ne les avait pas dupés, que leur corps reflétait bel et bien leur appel à vivre de la vie divine. 

Ils réalisent qu'ils ont préféré vivre sans Dieu qui les a créés par son amour infini. Et ils en ont honte. Leur corps est pour eux un rappel qu'ils se sont séparés de Dieu. Ils n'ont pas honte tant de leur corps que de la concupiscence10 (ie. de la cupidité) La différence sexuelle, qui souligne la polarité spirituel/sensible d'une manière particulière, est mise en accusation maintenant que le divorce entre le corps et l'âme est consommé : presque toujours, la honte que l'homme éprouve face à la différence sexuelle cache en fait une excuse pour ne affronter le désordre de son coeur cupide. 

La concupiscence correspond au désir sexuel ex-pirant (hors de l'esprit), le désir qui n'est plus in-spiré par la grâce, et ainsi vire à la convoitise : l'homme cupide traite ainsi l'autre comme un objet pour sa propre gratification, ou s'aime si peu qu'il veut s'annihiler en devant objet pour l'autre.

Pour l'homme historique la concupiscence s'exprime sous deux formes :

  • Tout d'abord, comme une prédisposition résultant du péché originel. Ce désordre qui habite le coeur de l'homme - s'il vient du péché et entraîne au péché - n'est pas un péché en soi, dans la mesure où le péché suppose l'intervention de la volonté. 
  • C'est la deuxième forme de la concupiscence : nous cédons à cette prédisposition et de vivre cette convoitise.

Si cette concupiscence est une donnée de l'homme historique, est-elle pour autant une fatalité ? Non ! Jean-Paul II le crie avec force : le Christ nous a rédimés ! et s'il l'homme racheté pèche encore ce n'est pas que la rédemption est imparfaite mais que la volonté de l'homme ne se rend pas disponible à la grâce11

 

L'expérience de la honte

Imaginez un navigateur qui, ayant voulu tester les possibilités de son navire contre les instructions de son concepteur alors qu'il n'y était pas encore près, déchire sa voile : quelle doit être sa déception, quel choc ! L'expérience de la navigation change du tout au tout. Le Pape nous dit que cela a dû secouer les fondements de leur existence toute entière12 !

 Le Seigneur Dieu appela l'homme et lui dit : « Où es-tu donc ? » L'homme répondit : « Je t'ai entendu dans le jardin, j'ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché. »

L'homme n'a pas peur tant de sa nudité que du regard de Dieu. Ayant déjà douté de l'Amour de Dieu, il doute de sa miséricorde (en se cachant) et de sa justice (en accusant la femme).13. L'amour de Dieu et l'amour du prochain sont liés par la signification de notre corps.14.

La honte est immanente, en ce sens qu'elle est liée dans un premier temps à la conscience de l'unité perdue entre le corps et l'âme et de la difficulté d'accepter son corps pour ensuite entrer en relation.
Elle est aussi relationnelle dans la mesure où elle manifeste la conscience de ne pas respecter l'autre dans la dignité de sa personne ou de n'être point ainsi respecté(e) par lui ou elle. 

La honte et la convoitise s'expliquent mutuellement : la convoitise crée la honte et la honte explique la convoitise en révélant la blessure créée par la convoitise à la fois dans la personne qui convoite (immanent) et dans la personne convoitée (relationnel).
Ceci nous permet de comprendre pourquoi et dans quel sens le Christ qualifie la convoitise d'adultère du coeur. L'adultère est par essence anticonjugal ; Il en est de même pour la convoitise. L'adultère est contraire à la dignité et à la valeur intrinsèque de la personne ; Il en est de même pour la convoitise. L'adultère est un contre-témoignage à la communion d'amour de la Trinité ; Il en est de même pour la convoitise.

 

Une expérience différenciée de la honte

Les hommes et les femmes ressentent généralement de manière différente le desordre qui nous habite tous : chez les hommes, ce désir-convoitise est tourné vers la gratification physique aux dépends de la femme ; chez la femme, le désir-gratification est tourné vers la gratification émotionnelle aux dépends de l'homme. D'où le dicton qui dit que l'homme utilise l'amour pour avoir le sexe tandis que la femme utilise le sexe pour avoir l'amour.

La connaissance de l'autre comporte les deux dimensions - intimité émotionnelle et don physique - mais nous n'entrons pas dans les deux dimensions au même rythme, au même tempo.. La femme a également un désir physique comme l'homme un désir émotionnel. Accepter cette différence de tempo est nécessaire pour que l'union soit réellement communion et qu'elle respecte et implique réellement chaque personne. Cela ne peut se faire qu'en vivant la dynamique de don et de réceptivité au don, à l'exclusion de toute avidité et de volonté de se saisir de l'autre avant qu'il ne se donne. 

Ainsi la dimension protective - et positive - de la honte, que l'on peut appeler "modestie" s'exprime différemment pour chacun :

  • L'homme doit être attentif au fait que la femme cherche en premier lieu une intimité émotionnelle et ne pas poser prématurément des gestes d'affection déconnectés de sa vie émotionnelle - donc des contrefaçons d'affection - dans le but d'obtenir une gratification physique immédiate. Il doit veiller à ce que son côté "romantique" ne l'idéalise pas trop et qu'elle se donne bien à Lui et non à une personne idéalisée et désincarnée en adoptant une modestie émotionnelle et en lui permettant de le découvrir sans adopter des clichés émotionnels. 
  • La femme doit être attentive au femme que l'homme cherche en premier lieu une intimité physique et ne pas poser prématurément des gestes sexuels déconnectés de son désir de se donner physiquement - donc des contrefaçons de don sexuel - dans le but d'obtenir une gratification émotionnelle immédiate. Elle doit veiller à ce que sa libido ne le conduise pas à la réduire à son physique et qu'il se donne bien à Elle et non à un corps anonymisé et caricaturé, en adoptant une modestie physique qui lui permette de la découvrir dans sa singularité sans la réduire à des clichés physiques. 

Comprendre cette dimension positive de la honte nous permet de réaliser que la convoitise n'est pas l'essence du coeur humain.

 

La soif inextingible

Jean-Paul II affirme que l'homme et la femme sont appelés de toute éternité à la communion15. Nous désirons toujours la communion après la péché orginel. Cependant nous ressentons que nous ne parvenons pas à satisfaire notre désir d'atteindre dans l'union conjugale du corps [...] la communion réciproque des personnes16 : la convoitise ne satisfait jamais notre désir d'amour

Cette 'seconde expérience' de la sexualité diffère grandement de la première dans la mesure où la communion n'est plus immédiate : on n'est plus homme et femme mais homme ou femme voire homme contre femme ; de plus, en raison de notre séparation de l'amour, notre sexualité est devenue objectivée : il devient difficile pour chacun de s'identifier à son corps. Le corps ne révélant plus la personne de manière aussi évidente, un manque de confiance apparaît qui crée des attitudes de honte protectrice, d'autoconservation qui - si elles ont une dimension positive - sont toutefois des obstacles à un don sincère et total de sa propre personne.

 

La femme, première victime du péché

Dans l'histoire humaine, la femme a bien souvent payé le lourd prix de l'incapacité de l'homme à se donner et recevoir le don - sa convoitise. Cette réalité - qui n'est pas dans la nature des choses mais due au péché - est contenue dans cette parole de la Genèse :

  Le désir te portera vers ton mari, et celui-ci dominera sur toi.17

Encore une fois, ce constat n'est pas une sentence de Dieu (et ne peut aucunement servir de justification à une quelconque attitude sexiste) mais une description de l'impact particulier du péché sur les femmes, par la distorsion du rapport homme / femme. Cette tendance est manifestée à divers degrés dans les différentes cultures et porte un nom : la mysoginie. Cette domination de l'homme est contraire au plan de Dieu et est un résultat spécifique du péché originel.

A cause du péché, le masculin -initateur du don - est perçu comme tyrannique ; la grande bénédiction de la féminité - la fécondité et la capacité à donner la vie - est également devenu pour beaucoup de femmes une malédiction. 

Face à un male-tyran et une discrimination perpétuelle dans l'histoire, la femme est à son tour tentée pour survivre de rejeter sa €propre féminité et de s'adjuger cette masculinité dévoyée. N'est-ce pas là la motivation de nombre de mouvements féministes ? Si ces mouvements ont des qualités évidentes, ils ont aussi des défauts qui ont conduit Jean-Paul II à les exhorter à développer un féminisme qui promeuve le génie spécifique de la femme. 

Si la distorsion du péché peut conduire l'homme à nier la dignité de la femme et à l'utiliser, cette distorsion peut conduire la femme à nier sa propre dignité et à accepter d'être utilisée. Elle peut aussi jouer avec le désir de l'homme et ensuite la manipuler également, en niant sa dignité propre.

 

L'état de notre coeur influence la manière dont nous vivons notre corps

Plus l'homme historique considère comme normale l'expérience déchue de son corps et de sa sexualité, plus les enseignements de l'Église lui semblent abstraits et déconnectés de "la vraie vie".

Dans le Sermon sur la Montagne, le Christ fait référence spécifiquement à l'expérience de l'homme historique. Il n'y a rien d'abstrait dans le fait de "regarder avec convoitise". Nous savons tous immédiatement ce que cela signifie dans notre propre expérience, dans notre coeur.

Si nous comparons notre expérience à notre vocation originelle, nous pouvons avoir trois attitudes :

  • Normaliser le péché, c'est à dire renoncer à notre vocation en prétendant qu'elle n'est pas aussi belle que la Théologie du Corps le proclame
  • Perdre toute espérance, en considérant que nous n'y arriverons jamais, tant la distance qui nous sépare du but est grande
  • Nous tourner vers le Christ qui n'est pas venu pour nous condamner, mais pour nous sauver 18

Les mots du Christ ne sont pas des sentences ; ils sont un appel à laisser un nouvel ethos de la rédemption transformer nos coeurs pleins de convoitise.

Un danger est de s'habituer au péché. Nous pouvons ainsi penser qu'il est dans notre nature. La théologie catholique de la "chute" se dissocie ici de la théologie protestante de la "dépravation" : mourir à soi-même n'implique pas en catholicisme une modificaiton de la nature de la personne (créée bonne) mais sa rédemption.

Nous devons être conscient que la concupiscence prend parfois les habits de l'amour et discerner les mouvements de notre coeur. 

Un effet social de cette habituation au péché est la modification de la notion de beauté : auparavant définie comme la capacité du corps à exprimer la personne, la beauté est aujourd'hui pour beaucoup liée aux attributs du corps capables de satisfaire ou d'éveiller la concupiscence.

S'il peut, dans un premier temps, être nécessaire de passer par une phase de contrôle de ses passions sur le mode de la contrainte, le Christ nous appelle à progresser dans la liberté, à ne pas simplement satisfaire nos désirs mais à les combler et pour cela les purifier. Quelqu'un qui ne se contrôle pas va en effet naturellement tendre à vouloir contrôler autrui et ainsi nier le mystère de leur personne. Cette croissance dans la révérence de son corps est un chemin de sainteté, que le monde ne peut pas offrir..

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Commandements et ethos

Le Pape divise ensuite ce texte en trois parties :

  1. il a été dit : Tu ne commettras pas d'adultère
  2. Tout homme qui regarde une femme et la désire
  3. a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur
     

La loi et les prophètes

Le Christ commence son enseignement par une référence à la loi de Moïse. "Vous avez entendu qu'il a été dit" : ses interlocuteurs sont familiers de cette loi. "Moi je vous dis" montre que la norme ne se suffisait pas à elle même : une norme ne peut changer le coeur plein de convoitise.1

Ainsi, David et Salomon étaient polygames, par convoitise, à n'en pas douter. Le fait que le commandement sur l'adultère ait pour conséquence essentielle le monogamie n'a pas effleuré leur esprit - ou leur conscience... Moins le coeur des hommes se conforme à la vérité, plus la société a besoin d'une norme objective pour limiter les dérives2.

Certaines lois, cependant, en voulant protéger l'ordre social, protègent en réalité la dimension sociale du péché. Quand les prophètes dénoncent l'infidélité d'Israel3 au Seigneur, ils pointent du doigt le vrai sens de la loi. Dans la loi de Moïse, l'adultère est rangé dans la catégorie des atteintes au droit de propriété (sous-entendu, du mari ou du père) : toutefois les prophètes dénoncent l'adultère non pas comme une violation d'un droit sur le corps de l'autre, mais comme rupture de l'alliance entre l'homme et la femme.

Le Pape essaie de nous amener à voir que l'enseignement catholique sur la sexualité n'est pas une législation arbitraire, ni la compilation de droits et devoirs juridiques4. La question "jusqu'où puis-je aller ?" n'est vraiment pas la bonne question...

 

L'accomplissement de la Sagesse

En transférant l'origine de l'adultère du corps au coeur, le Christ appelle à un regard renouvelé. 

Ainsi, si le Siracide dit "Détourne ton regard d'une jolie femme [...] Beaucoup ont été égarés par la beauté d'une femme et l'amour s'y enflamme comme un feu"5, le Christ appelle non pas à détourner les yeux, mais à poser un regard renouvelé, à recevoir la pureté du regard.

Le Christ n'est pas mort sur une croix et ressuscité des morts uniquement pour nous donner des moyens de faire des compromis avec le péché (on ne l'a pas attendu pour ça...) Il est mort et ressuscité pour nous rendre Libres6.

Le Pape appelle à développer la chasteté. Celle-ci ne consiste pas "à annihiler le corps et la sexualité de l'esprit conscient en en refoulant les réactions dans le subconscient. La chasteté pratiquée ainsi [...] conduit à l'explosion. [...] Mais le coeur de la chasteté, c'est la promptitude à affirmer dans toute situation la valeur de la personne et à amener au niveau de la personne nos réactions que suscitent en nous le corps et la sexualité.7

 

L'expérience de l'homme historique

Même si le Christ n'est pas venu apporter un compromis avec le péché, nous vivons toujours cette tension historique du "déjà, mais pas encore". L'histoire suivante illustre bien à quoi ressemble la pureté chrétienne vécue dans sa maturité :

 Deux évêques sortent d'une cathédrale. Au moment où sortent, une prostituée passe par là, très légèrement vêtue.. L'un des évêques détourne immédiatement le regard ; l'autre au contraire pose délibérément son regard sur elle.
Le premier évêque, celui qui a détourné les yeux, s'exclame : "Frère Evêque, que fais-tu ? détourne les yeux !" mais quand il regarde son frère évêque, celui-ci a les larmes aux yeux : "comment se fait-il qu'une telle beauté soit jetée en pâture à la convoitise des hommes ?"

Lequel de ces évêques est vivifié par l'ethos de la rédemption ? Lequel est bien au-delà de l'exigence de la loi pour l'accomplir dans son coeur ? 

Il est important de comprendre que l'évêque qui détourne les yeux a également fait ce qu'il fallait, car il se savait incapable à cet instant de regarder cette femme sans éprouver de la convoitise, il sait que la concupiscence habite encore son coeur. Cela s'appelle éviter les occasions de pécher et cela constitue une première étape vers la chasteté. Mais ce n'est que la première étape. Nous sommes appelés à plus.

Si la majorité des hommes en est à cette première étape, ajoutons, pour ceux qui douteraient qu'atteindre une pureté comparable à celle de l'évêque qui regarde délibérément est possible et même souhaitable, que ce récit n'est pas fictif : l'histoire est inspirée de la conversion de Ste Pélagie par Nonnus d'Edesse.8 Parce que Nonnus a su la regarder avec un regard d'amour et d'émerveillement, Pélagie y a vu le regard du Christ et s'est convertie.9

 

L'état intérieur de l'homme de concupiscence

Le Siracide décrit très bien l'état de l'âme de l'homme de concupiscence : "la passion brûlante comme un brasier elle ne s'éteindra pas qu'elle ne soit assouvie; l'homme qui convoite sa propre chair il n'aura de cesse que le feu ne le consume".

L'homme n'est pas appelé à se consumer mais à être à l'image de Dieu : le désir ainsi purifié ne consume pas la personne comme le feu de Dieu ne consume pas le buisson ardent10.

Sans cette transformation radicale, nous ne pouvons qu'exhiber une modestie extérieure. Celle-ci vient d'une crainte des conséquences de l'indécence plus que du rejet du mal lui-même. En d'autres termes, le coeur n'est pas changé : seule la peur de "se faire surprendre en train de convoiter" nous retient alors. Dès que le regard de l'autre s'éloigne, nous nous autorisons à convoiter. 
Selon une traduction différente de Mt 5, ce faisant, nous faisons de cette femme une adultère dans notre coeur : la personne de cette femme ne change (grâce à Dieu !) pas mais nous la changeons dans notre regard, imaginant des scènes adultères avec elle, devenant ainsi incapables de l'aimer vraiment. 

Le Christ n'explique pas vraiment en Mt 5 ce que signifie convoiter. Il suppose que c'est une expérience que nous connaissons tous (et toutes). Si la concupiscence n'est pas un péché, le regard concupiscent en est un. Jean-Paul II nous dit "que le Christ veut nous montrer que l'homme regarde conformément à ce qu'il est"11

 

La concupiscence en psychologie

Pour le psychologue, la concupiscence - souvent alors appelée désir - n'a pas le même sens que dans la bible ou en théologie. Elle est neutre moralement.

En effet, la psychologie n'a pas le contexte ni le cadre de référence nécessaires pour en percevoir la dimension éthique, car elle analyse l'homme historique sans le lier à l'innocence originelle. La concupiscence semble ainsi simplement "normale" puisque tout le monde en fait l'expérience.

De la même manière que la concupiscence réduit la personne a sa dimension sexuelle (et même à la dimension physiologique de sa sexualité), cette vision est réductrice car elle ne prend pas en compte la réalité de notre vocation à vivre à la ressemblance de Dieu. 

 

La concupiscence dans le mariage

Celui qui regarde une autre femme avec concupiscence a déjà commis l'adultère dans son coeur. Jean-Paul II va plus loin : qu'en est-il de celui qui regarde sa propre femme avec concupiscence ? 

La logique semble affirmer que puisque l'adultère ne peut être qu'en relation avec une autre femme, il n'a pas lieu ici. Le Pape reprend ce premier raisonnement12 pour en montrer les limites. Ainsi, selon lui, "l'adultère 'dans le coeur' n'est pas commis par qu'un homme regarde une autre femme de cette manière, mais parce qu'il regarde une femme de cette manière. Même s'il regardait de cette manière sa propre femme, il commettrait l'adultère."13

Cette déclaration a suscité de nombreuses réactions de médias internationaux14, certains accusant Jean-Paul II d'avoir tellement peur de la sexualité qu'il voudrait la restreindre au sein-même du mariage.

Au contraire ! Jean-Paul II est très attaché à la préservation de la sexualité des époux, dans toute sa dimension. Rendre adultère une relation conjugale signifie simplement la distordre par rapport à sa signification originelle, ce dont conviennent même les adversaires du mariage : "N'a t-il pas été dit et écrit en toutes lettres récemment que le mariage devient souvent une forme d'esclavage pour la femme ; qu'elle est réduite au rang d'objet sexuel ou même que dans certains cas la relation conjugale n'est qu'une prostitution cachée ?"15

Si les sexes sont créés l'un pour l'autre, la convoitise change radicalement la manière dont l'un existe pour l'autre. Un homme qui verrait sa femme comme un objet de satisfaction de son propre désir est adultère. En conséquence, l'union sexuelle n'est justifiée (c'est à dire rendue juste, belle et sainte) que lorsqu'elle est inspirée par l'amour de Dieu (qui vient de Dieu, et tourné vers Dieu).

Remedium Concupiscentiae ?

L'Eglise enseigne traditionnellement que le mariage est le remedium concupiscentiae16. Certains ont interprété cette expression en pensant que le mariage est un exhutoire de la concupiscence, ce qui donne carte aux blanche aux hommes pour utiliser leur femmes pour leur satisfaction égoïste dans le cadre du mariage.

Cette interprétation manque complètement l'appel du Christ à l'intelligence du coeur dans le Sermon sur la Montagne. Elle a malheusement conduit à ce que des femmes s'entendent dire par leur confesseur ou leur directeur spirituel qu'elles devaient se donner à leur mari "à la demande". Il va sans dire (mais mieux en le disant) que la Pape abhore une telle vision.

Remedium Concupiscentiae est bien mieux traduit par le remède à la concupiscence. Le mariage permet de soigner la concupiscence (et non pas de l'exprimer) car chacun des époux essaie d'y aimer son conjoint de plus en plus, dans la totalité de sa personne. C'est le caractère prophétique du mariage qui est montré ici et pas l'expérience de la chute. "Déjà, mais pas encore".

La pureté de coeur, objectif réaliste ?

Parmi les reproches faits au Pape, celui de prêcher une morale irréaliste est le plus fréquent. Citons ainsi un article paru à l'époque17:

 Les européens peuvent peut-être contourner ce problème en faisant appel à leur fibre romantique lorsqu'ils regardent une femme18, mais les américains ne s'encombrent pas d'une telle étiquette. Chez eux, grattez le vernis de romantisme, et vous trouverez à coup sûr la convoitise. [...]
Il est clair que le Pape a les meilleures intentions. [...] Mais il ne sait probablement pas le rôle central que joue la convoitise dans la famille américaine : [...] il sait que le désir des choses matérielles comme une voiture rapide nous pousse à travailler dur ; mais ce n'est pas seulement de ça qu'il s'agit : dès l'adolescence, la convoitise est notre force vitale. Nous ne voulons pas des voitures rapides pour elles-mêmes, mais pour satisfaire vous-savez-quoi. [...]
A mon époque, la première chose que vous appreniez sur les genoux de votre mère était que les garçons avaient une seule chose en tête - vous-savez-quoi - et que la route du mariage était pavée de déni. [...]
Aucune d'entre nous ne veut être un objet sexuel - le Pape a bien compris ça - [...] et il était un temps où nous cherchions la communion des personnes. [...] Mais cette époque est belle et bien révolue :  [L'ancien président] Jimmy Carter a donné à la convoitise ses lettres de noblesse dans son interview à Playboy [...] il a compris une chose sur le mariage : si l'homme convoite sa femme, au moins n'en convoitera t-il pas une autre.

On sent dans le ton de Judy Mann une amertume : elle aurait souhaité que les choses soient différentes et a conscience qu'elles sont censées être différentes. Mais elle a choisi le cynisme, la résignation : elle a accepté que la convoitise soit une donnée de l'humain. 

Ce cynisme n'est pas qu'une posture conceptuelle : elle a des conséquences bien réelles, incarnées. Le dernier paragraphe en est un exempe flagrant : il témoigne d'un pari sur notre incapacité à dépasser la convoitise et fait entrer dans une spirale destructrice, en encourageant la convoitise pour mieux la contrôler. 

Ce regard en manque d'espérance est typique de l'humanité amputée par le péché. Le Pape le crie : "nous devons retrouver la plénitude perdue de notre humanité et la revendiquer [face à l'adversaire]"19

Nul ne proclame que la route est facile.. dans la suite de son Sermon, le Christ ne parle t-il pas d'arracher son oeil, s'il nous pousse au péché ?20 Pourquoi les mots de Jésus sont-ils si forts ? Remarquons que la convoitise et l'enfer tiennent dans la même définition : l'absence de l'amour de Dieu. C'est pourquoi la convoitise est chose sérieuse : si l'amour de Dieu est à l'origine de l'homme alors la convoitise est l'antithèse de son existence.

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Nous devons réaliser que les conséquences de la convoitise dépassent de loin le lit conjugal21 mais atteignent également la société dans son ensemble, la vie sociale et économique22 : bref, créent une culture de mort. En fait connaissant bien pourtant le verdict de Dieu qui déclare dignes de mort les auteurs de pareilles actions, non seulement ils les font, mais ils approuvent encore ceux qui les commettent.2324

  • 1. cf. CEC 1963
  • 2. Cela mène a des exemples de lois assez surprenants... cf. Lv 18 ; Dt 22,13-30 ; Dt 25,11-12
  • 3. et Israel constitue ici le prototype des peuples : il ne s'agit pas de condamner Israel per se, pour qui l'amour du Seigneur dure à toujours.
  • 4. malgré des textes au vocable très mal choisi, comme le droit sur le corps du code de Droit Canon de 1917, qui a heureusement disparu dans le Code de 1983.
  • 5. Si 9,8
  • 6. CEC 2764 : Dans le Sermon sur la Montagne [...] l’Esprit du Seigneur donne forme nouvelle à nos désirs, ces mouvements intérieurs qui animent notre vie.
  • 7. cf. Amour et Responsabilité
  • 8. Nonnus s'est en réalité exclamé "Malheur à nous, paresseux et négligents, car nous devrons rendre compte au jour du jugement, pour ne pas avoir mis à plaire à Dieu le zèle et le soin que met cette pauvre femme à orner son corps pour un plaisir passager"
  • 9. Pensons à Nathanaël sous le figuier...
  • 10. cf. Ex 3
  • 11. TDC 39,4
  • 12. TDC 25,4
  • 13. TDC 43,2
  • 14. Au point que l'Osservatore Romano a publié une réponse le 12 octobre 1980
  • 15. Sorgi, L'Osservatore Romano, 12 octobre 1980
  • 16. S'appuyant sur le verset de Saint-Paul en 1Co 7,9 : "Mais s'ils ne peuvent pas se maîtriser, qu'ils se marient, car mieux vaut se marier que brûler de désir."
  • 17. A Lesson on Lust for the Vatican, "Une leçon sur la convoitise pour le Vatican", par Judy Mann, Washington Post du 10 octobre 1980
  • 18. on appréciera le cliché..
  • 19. TDC 43,7
  • 20. Mt 5,29-30
  • 21. Rm 1, 24-27 : Aussi Dieu les a-t-il livrés selon les convoitises de leur cœur à une impureté où ils avilissent eux-mêmes leurs propres corps eux qui ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge, adoré et servi la créature de préférence au Créateur [...]: car leurs femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature ; pareillement les hommes, délaissant [...] la femme, ont brûlé de désir les uns pour les autres, perpétrant l'infamie d'homme à homme et recevant en leurs personnes l'inévitable salaire de leur égarement.
  • 22. Rm 1,29-31: remplis de toute injustice, de perversité, de cupidité, de malice ; ne respirant qu'envie, meurtre, dispute, fourberie, malignité ; diffamateurs, détracteurs, ennemis de Dieu, insulteurs, orgueilleux, fanfarons, ingénieux au mal, rebelles à leurs parents, insensés, déloyaux, sans cœur, sans pitié
  • 23. Rm 1,32
  • 24. TDC 51,1(3)
- regard du Christ - modestie - norme - commandements - chasteté

Le Coeur : mis en accusation ou appelé ?

Si l'humanité peut vivre la pureté de coeur ou tomber, comment devons-nous agir pour la vivre ? Comment devons-nous considérer la sexualité, l'attirance sexuelle et le désir ? Existe-il un appui ferme pour guider nos pensées, nos sentiments et nos actes dans ce domaine ?

Nos sociétés ont en effet beaucoup évolué par rapport à ces questions, passant d'une vision pessimiste du corps accompagnée d'un puritanisme strict à une vision plus détendue mais qui s'accompagne d'une grande permissivité1. Où trouver la juste position ? 

 

L'Eglise condamne t-elle le corps ? 

La première menace qui nous guette lorsque nous tentons d'aborder notre manière de vivre le corps est le manichéisme. Cette idéologie, qui voit dans la matière et donc dans le corps la source du mal, n'a cessé au cours de l'histoire de contaminer la pensée.

Jean-Paul II affirme avec force que la manière manichéenne de comprendre et d'apprécier le corps de l'homme et sa sexualité est en grande partie étrangère aux Évangiles. Tandis que dans la mentalité manichéenne, le corps et la sexualité sont des "anti-valeurs", le christianisme y voient au contraire une valeur pas suffisament reconnue2. Rappelons-nous la thèse de Jean-Paul II : seul le corps peut signifier dans le monde visible le mystère invisible de Dieu.

Dans le christianisme, l'abandon de la convoitise ne signifie aucunement le rejet de son objet (qui est le plus souvent la sexualité). Au contraire, c'est parce que la sexualité revêt un caractère sacré qu'il est urgent d'abandonner la convoitise !

De la même manière, le corps de la femme, objet de la convoitise dans Mt 5,28, n'est pas pour autant mauvais. Rejeter sur elle la responsabilité de notre propre convoitise est une tentative - pathétique - d'éviter de réformer notre coeur. Il en est de même pour la condamnation du corps en général. Le rejet du corps au nom de la sainteté ne fait que pousser un cran plus loin cette logique perverse.

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Ainsi, il est impropre d'appeler certaines parties du corps 'impropres' ou 'impures', car le corps entier est bon, très bon. Une mère qui, surprenant son fils en train de regarder un film pornographique, lui reprocherait de regarder des images sales n'aurait pas tout à fait raison : la convoitise se situe avant tout dans la production et le visionnage de ces images. La pornographie n'est mauvaise à cause de son objet, le corps possèdant en lui-même une dignité inaliénable, que dans la piètre qualité de sa présentation artistique.

Nous pouvons donner l'impression de jouer sur les mots. Mais il ne s'agit pas de sémantique : il s'agit de bien identifier le mal là où il se situe. Un exemple flagrant est cette question que nous posons avant d'entrer dans une chambre : "es-tu visible ?". L'unique réponse possible, étant donnée la dignité du corps, est "OUI!" Mais notre regard, lui, n'est-il pas indécent ? 

L'idée que l'Église pense que la sexualité est mauvaise, et qu'elle ne la tolère que pour la procréation, est répandue. Beaucoup, catholiques et non-catholiques, pensent qu'une telle hérésie est la doctrine officielle de l'Église !

La fuite peut être une première étape pour éviter la convoitise, mais ce n'est pas l'appel définitif et l'on ne saurait se contenter du statu quo : la rédemption du corps offerte par le Christ va bien plus loin ! Elle vise la réintégration du corps et de l'âme, de la personnalité et la sexualité et la capacité à la voir et en faire l'expérience.

Image de la femme et représentation de soi

Dès l'origine3 l'homme a blâmé la femme pour sa propre tendance à la convoitise et son incapacité à la maîtrise de soi. Si les femmes ont la responsabilité de ne pas jouer avec les faiblesses des hommes, ceux-ci ont la responsabilité - première - de combattre la convoitise et de grandir continuellement dans la pureté jusqu'à arriver à voir dans chaque femme sa dignité spécifique.

Ce combat est d'une importance capitale : chaque femme, chaque être humain a besoin pour grandir d'être aimé, de se voir confirmer en tant que personne par le regard positif de l'autre. Un regard détourné, de ce point de vue, n'est une que très relative par rapport au regard convoitant.

 

Le coeur condamné ? 

Nous avons tous fait l'expérience du péché. Le propre du père du mensonge est d'être également l'accusateur : il ne cesse de nous faire douter de la possibilité de la rédemption en soulignant à chaque instant nos chutes. Nous devenons ainsi des "maîtres du soupçon", c'est à dire que nous ne croyons pas pleinement à la puissance de l'Évangile et du Verbe. 

L'histoire des deux évêques montre bien cette suspicion. L'évêque qui a détourné le regard met immédiatement en accusation son frère car, n'ayant jamais remporté de victoire réelle sur la concupiscence, il n'imagine pas que celui-ci peut ne pas subir de même la convoitise. 

Le philosophe protestant Paul Ricoeur a popularisé cette expression "maître du soupçon" en l'appliquant à Freud, Marx et Nietzsche. Chacun "accuse" en effet le coeur humain et placent la concupiscence au coeur de leur vision de l'homme. Jean-Paul II établit un parallèle entre chacun de leurs modes de pensée et les modalités de la concupiscence décrites par St Jean : la pensée nitzschéenne réduit sa représentation du monde au pouvoir, la théorie marxiste à l'argent  et à la possession et la pensée freudienne au plaisir.
Si le Christ dit que la concupiscence est du domaine du coeur avant d'être du domaine du corps, il ne réduit pas pour autant l'homme à cette unique réalité ; alors que les "maîtres du soupçon" n'ont aucun espoir de rédemption, le Christ offre lui-même la rédemption dans sa personne.

 

Le sens de la vie

"S’il est vrai que le Christ nous ressuscitera " au dernier jour ", il est vrai aussi que, d’une certaine façon, nous sommes déjà ressuscités avec le Christ. En effet, grâce à l’Esprit Saint, la vie chrétienne est, dès maintenant sur terre, une participation à la mort et à la Résurrection du Christ"4

Le doute est une tentation constante : tentation de penser qu'il existe une déviation qui pourrait nous éviter la croix. Jean-Paul II nous avertit de ne pas détacher les paroles du Christ de la réalité concrète de notre existence5 : l'espérance que le Christ annonce dans le Sermon sur la Montagne est complètement réaliste si l'on considère qui Il est, qui nous sommes et ce qu'Il est venu faire pour nous. 
Si cela nous semble irréaliste, nous devons nous demander sérieusement ce que nous croyons de qui le Christ a dit être et de ce que sa mort et sa résurrection veulent dire pour nous. Sinon, nous risquons de venir comme ces hommes "pleins d'eux-mêmes, amis du plaisir plutôt que de Dieu ; [qui] auront les apparences d'une vie religieuse, mais rejetteront ce qui en fait la force."6

Le Christ ne revèle pas seulement une nouvelle dimension de la morale, mais également une dimension nouvelle de l'homme : douter de notre capacité concrète à vivre ce à quoi le Christ nous appelle devient alors un piège. Le Pape répond7 :

  Mais quelles sont les " possibilités concrètes de l'homme " ? Et de quel homme parle-t-on ? De l'homme dominé par la concupiscence ou bien de l'homme racheté par le Christ ? Car c'est de cela qu'il s'agit : de la réalité de la Rédemption par le Christ. Le Christ nous a rachetés ! Cela signifie : il nous a donné la possibilité de réaliser l'entière vérité de notre être ; il a libéré notre liberté de la domination de la concupiscence. Et si l'homme racheté pèche encore, cela est dû non pas à l'imperfection de l'acte rédempteur du Christ, mais à la volonté de l'homme de se soustraire à la grâce qui vient de cet acte. Le commandement de Dieu est certainement proportionné aux capacités de l'homme, mais aux capacités de l'homme auquel est donné l'Esprit Saint, de l'homme qui, s'il est tombé dans le péché, peut toujours obtenir le pardon et jouir de la présence de l'Esprit »

Cette proclamation nous amène au coeur du sujet : Jean-Paul II, vicaire du Christ, crie avec Saint-Paul : "ne videz pas la croix de son sens !"8. Nous ne comprenons pas aisément : et pour cause, c'est proprement incroyable et insaisissable pour nous qui ne connaissons le monde qu'à travers le péché : le langage de la croix est folie pour ceux qui vont vers leur perte9.
Notre vie est comparable à un voilier qui a la voile percée. Le vent souffle. Nous n'osons pas prendre le vent arrière de peur de déchirer la voile pour de bon. Jean-Paul II, depuis la rive, nous crie, tandis que le Christ marche sur les eaux pour nous rejoindre : "N'ayez pas peur !! ".

Zoom...

Si les mots du Christ trouvent un écho en nous, c'est le signe que nous ne sommes pas complètement immergés dans le péché ; l'Évangile nous appelle de l'extérieur, notre coeur de l'intérieur. Notre voilier avec sa voile percée suscite peut-être la pitié, mais la coque est en bon état et le gouvernail sûr : le Christ s'apprête à hisser la grand-voile et le spi... regardons-nous maintenant avec le regard de Dieu : voici, nous sommes très bons !

 

Eros et Ethos

Les mots du Christ condament-ils l'amour érotique ? Nous avertissent-ils contre eros ? Pour répondre, nous devons clarifier ce que nous entendons par eros. Pour le sens commun, le regard de convoitise lancé par l'homme sur cette femme avec qui il n'est pas marié est érotique. Si l'eros se limitait à la concupiscence, il est évident qu'il serait condamné.

Jean-Paul II définit les "phénomènes érotiques comme l'ensemble des comportements par lesquel l'homme et la femme s'approchent l'un l'autre et s'unissent pour n'être qu'une chair". Pour Platon, eros est cette force intérieure qui attire l'homme au vrai, au beau et au bien. 
Dans cette optique, eros et ethos ne sont pas opposés comme nous pouvons le penser à première vue. Au contraire, "ils sont appelés à se rentrontrer dans le coeur humain et à porter du fruit"10. Oui, pour le coeur pur, l'érotique est vrai, beau et bon !! La Bible tout entière annonce l'union de l'Amour et de la Vérité dans le Christ11.

Tous les mouvements de notre coeur et les impulsions spontanéees de notre corps sont-ils donc bons ? Il est réaliste de répondre par la négative. 
La connaissance du bien et du mal ne peut pas être uniquement abstraite : le discernement doit être opéré dans le coeur. C'est une vraie "science" qui ne peut s'apprendre dans les livres car elle concerne la vie intérieure de chacun. Le Christ nous appelle à une vraie maturité et connaissance de nous-mêmes. Jean-Paul II nous dit que cette tâche est digne d'être menée à bien et à la mesure de l'être humain12 : c'est la tâche de séparer le bon grain de l'ivraie.13

Ce qui est spontané dans notre coeur dépend de sa fondation : s'il est fondé sur l'amour, alors eros sera pur ; s'il est fondé sur la concupiscence, eros nous emmènera loin de l'amour et nous consumera. Notre coeur est comme le buisson ardent : quel feu allons-nous laisser nous brûler ? Si c'est le feu qui dévore et détruit, alors l'embrasement du plaisir nous laissera desséchés ; si c'est le feu qui ne consume pas, alors... l'embrasement du plaisir nous emmènera dans le coeur de Dieu : enlevons nos sandales et contemplons le mystère sacré !

  • 1. TDC 44,4
  • 2. TDC 45,3
  • 3. Gn 3,11-12 : « La femme que tu m'as donnée, c'est elle qui m'a donné du fruit de l'arbre, et j'en ai mangé. »
  • 4. CEC 1002
  • 5. TDC 46,6
  • 6. cf. 2Tm 3
  • 7. Veritatis Splendor, 103 : (les emphases sont dans le texte original)
  • 8. cf. 1Co 1,17
  • 9. 1 Co 1,18
  • 10. TDC 47,5
  • 11. cf. Ps 85 : J'écoute. Que dit Dieu ? Ce que dit le Seigneur, c'est la paix pour son peuple et ses fidèles, pourvu qu'ils ne reviennent à leur folie. Proche est son salut pour qui le craint, et la Gloire habitera notre terre. Amour et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s'embrassent; Vérité germera de la terre, et des cieux se penchera la Justice. Le Seigneur lui-même donnera le bonheur et notre terre donnera son fruit
  • 12. TDC 48,4
  • 13. cf. Mt 13,24-30 : l'ennemi est venu semu l'ivraie pendant que le semeur se reposait (le 7e jour... ?). Le Semeur tient trop au grain, à nous, pour risquer de l'arracher, de nous blesser en arrachant l'ivraie. Il nous laisse le soin de l'enlever et la lier en botte pour la brûler.
- rédemption du corps - ethos - eros - éthique sexuelle - manichéisme - pornographie - soupçon

L'Ethos de la Rédemption du Corps

Grandir dans la Sainteté

Une pureté mure ne s'acquiert pas du jour au lendemain, tant en nous l'habitude est forte. La pratique de la maîtrise de soi peut être difficile et surtout peut donner l'impression de suspendre le désir sexuel dans le vide. Le Saint-Père explique que c'est particulièrement vrai la première fois que la personne décide de lutter contre la concupiscence. "Cependant ", ajoute t-il, " la première fois déjà, et de plus en plus avec l'expérience, l'homme fait progressivement l'expérience de sa propre dignité."1

Nous nous battons alors pour la dignité de notre propre personne : allons-nous agir ou laisser le mal agir pour nous ? Les enjeux sont énormes, puisqu'il est question de l'intentionalité de notre existence même. Dans cette "réminiscence de la solitude originelle"2 nous découvrons notre transcendance, notre subjectivité et nous réalisons que le désir d'aimer est plus fort que le désir de convoiter.

 

La Rédemption, pas la Répression

Quel est alors le but de la loi ? La liberté ne s'apprend que par étapes et il nous arrive de prendre le mal pour le bien. La loi est alors un tuteur, comme un thermomètre qui nous dit si notre coeur est ajusté et si nos voies sont les voies de Dieu. 

Saint Paul nous explique3 : "Que dire alors ? Que la Loi, c'est le péché ? Absolument pas : je n'aurais pas connu le péché s'il n'y avait pas eu la Loi ; en effet, j'aurais ignoré la convoitise si la Loi n'avait pas dit : Tu ne convoiteras pas."

La loi n'est pas faite pour la répression de nos pulsions mais leur rédemption. Le père du mensonge a distordu notre sexualité pour en faire une arme contre nous ; nous ne devons pas la lui laisser et fuir nos désirs, mais leur faire face et les soumettre continuellement au Christ  - à l'instant même où ils nous embrasent - pour que la grâce les ordonne. 

Jésus nous enseigne cette vie nouvelle par ses paroles et il nous apprend à la demander par la prière. De la rectitude de notre prière dépendra celle de notre vie en Lui.4 Ainsi, Christopher West5 nous suggère, plutôt que de refouler nos désirs et les réprimer, de les confier au Christ, par exemple par cette prière :

    Seigneur Jésus
Je te confie mes désirs sexuels. Viens unir en moi ce que le péché a désuni, afin que je puisse connaître la liberté dans ce lieu de mon être et vivre le désir sexuel comme tu le désires. Amen.

  • 1. TDC 49,6
  • 2. TDC 49,7
  • 3. Rm 7,7
  • 4. CEC 2764
  • 5. Conférencier et auteur de "Theology of the Body Explained: A Commentary on Jean-Paul II's Male and Female He Created Them" à qui ce site doit beaucoup et son auteur encore plus.

La Pureté et la "Vie dans l'Esprit".

  Heureux les coeurs purs :
  ils verront Dieu !1

Heureux les coeurs purs, en effet, car ils verront le mystère de Dieu révélé dans le corps de l'homme. Rappelons-nous la thèse de Jean-Paul II : "seul le corps est capable de rendre visible le mystère invisible caché en Dieu de toute éternité".2

La pureté, nous dit le Pape, est le prérequis de l'amour : c'est la dimension de la vérité intérieure de l'amour dans le coeur de l'homme3. C'est la pureté qui, dans la subjectivité de l'homme, fait le lien entre sa solitude et son appel à la communion.

 

De la pureté du corps à la pureté du coeur

Pour parler de la pureté, nous utilisons instinctivement le vocabulaire de la propreté. L'Ancien Testament accorde une grande importance à la propreté du corps comme en témoigne le nombre incalculable d'ablutions rituelles. Nombre d'entre eux sont liés à l'impureté sexuelle (aux maladies sexuellement transmissibles)4.

Ces prescriptions médicales ont pris au fil du temps un sens moral - liée à la suspicion envers le corps - que le Christ récuse en disant que "Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme"5 : l'absence de propreté physique ne crée pas l'impureté morale6. A l'inverse, aucune ablution ne justifie l'impureté morale. 

C'est parce que c'est la pureté du coeur qui est essentielle que Jean-Paul II accorde tant d'importance à la subjectivité de l'homme.

 

La chair et l'esprit dans Saint Paul

Pour retrouver l'expérience de la béatitude dans la pureté, nous devons dépasser la tension entre la chair et l'esprit exprimée par Paul7 :

Car les tendances de la chair s'opposent à l'Esprit, et les tendances de l'Esprit s'opposent à la chair. En effet, il y a là un affrontement qui vous empêche de faire ce que vous voudriez.

Comme le dit le Saint-Père, "le problème n'est pas le corps (la chair) et l'esprit (l'âme) : ceux-ci constituent depuis le commencement l'essence-même de l'homme. Leur unité rend l'homme très bon.8 Ce que Paul dénonce dans l'opposition entre la chair et l'esprit cest la tension introduite par le péché originel9

Le Pape10 est attentif à utiliser un E majuscule poutrr parler du Saint-Esprit et de l'opposition que nous ressentons "dans la chair" avec ses désirs pour nous. Il note également que la "chair" dans Saint-Paul ne doit pas être identifiée avec la sexualité ou le corps, mais comprend, en plus de l'homme extérieur, l'homme intérieur coupé de Dieu. Vivre dans la chair c'est vivre de manière non-in-spirée, sans l'Esprit. C'est vivre comme si la poussière de notre humanité n'avait pas été inspirée.

Ajoutons que l'Eglise appelle le Saint Esprit la "Personne-Amour" ou la "Personne-Don"11: il veut nous in-spire pour que nous vivions selon la signification sponsale - conjugale - de notre corps. "Sur lui reposera l'Esprit de Dieu esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte de Dieu."12

 

La Justification par la Foi

Le Saint-Père observe que les mots de Saint Paul décrivent bien le combar dans le coeur de l'homme entre le bien et le mal. Mieux, ils donnent une méthode pour l'emporter. En effet, Paul parle du combat entre la chair et l'Esprit dans le cadre de son discours sur la justification par la foi. 13

L'homme ne peut se justifier par l'observance de la loi14 S'il tente de le faire, alors le Christ ne lui sert de rien et il passe à côté de la nécessité et de l'objectif de la rédemption. "Vous qui pensez devenir des justes en pratiquant la Loi, vous vous êtes séparés du Christ, vous êtes déchus de la grâce."15 Le Catéchisme résume16 :

La Loi confiée à Israël n’a jamais suffi à justifier ceux qui lui étaient soumis ; elle est même devenue l’instrument de la "convoitise" (cf. Rm 7, 7). L’inadéquation entre le vouloir et le faire (cf. Rm 7, 10) indique le conflit entre la loi de Dieu qui est la "loi de la raison" et une autre loi "qui m’enchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres" (Rm 7, 23).
"Maintenant, sans la Loi, la justice de Dieu s’est manifestée, attestée par la Loi et les prophètes, justice de Dieu par la foi en Jésus Christ à l’adresse de tous ceux qui croient " (Rm 3, 21-22). Dès lors les fidèles du Christ "ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises" (Ga 5, 24) ; ils sont conduits par l’Esprit (cf. Rm 8, 14) et suivent les désirs de l’Esprit (cf. Rm 8, 27).

Et la foi, dans sa nature la plus profonde, est l'ouverture du cœur humain devant le Don, devant la communication que Dieu fait de lui-même dans l'Esprit Saint.17 Par la foi, ce n'est pas l'homme qui se justifie, mais Dieu qui le justifie. 

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L'homme justifié par la foi n'a plus besoin de la loi18. Christopher West, dans ses conférences illustre cela en demandant à un homme marié s'il désire tuer sa femme. Un homme qui ne le désire pas n'a pas besoin du commandement "tu ne tueras pas" car son coeur est a-justé sur la volonté de Dieu. De la même manière, un homme qui a reçu la pureté sexuelle n'a pas besoin d'un catalogue d'interdits. 

 [L'Évangile] n’ajoute pas de préceptes extérieurs nouveaux, mais il va jusqu’à réformer la racine des actes, le cœur, là où l’homme choisit entre le pur et l’impur (cf. Mt 15, 18-19), où se forment la foi, l’espérance et la charité, et avec elles, les autres vertus.19

 

La liberté que le Christ nous a gagnée

La vie selon la chair apporte la mort. Il ne s'agit pas que de la mort physique, mais aussi de la réalité du péché mortel qui tue en nous la vie de l'Esprit. Ceux qui vivent ainsi "n'hériteront pas du Royaume des Cieux"20 dit Saint Paul. Il ajoute ailleurs que l'homme impur ne reçoit en héritage le Royaume des Cieux21 Seul l'homme pur pourra voir Dieu. En fait, c'est la définition de la pureté dans la béatitude : la capacité à voir Dieu. L'impureté, inversement, n'est que l'incapacité à voir Dieu, qui veut pourtant toujours se donner.

Le Christ nous a libérés. Pour Saint-Paul, la liberté est toujours intimement liée à l'amour : "vous avez été appelés à la liberté. Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte pour satisfaire votre égoïsme ; au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres"22. Supprimer notre liberté pour ne pas pécher ne correspond pas à l'Ethos de l'Évangile. Si comme Ulysse nous devons nous enchaîner pour ne pas pécher, alors nous sommes exactement ceci : enchaînés. "Or, le Seigneur, c'est l'Esprit, et là où l'Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté" 23.

Dieu ne veut pas imposer le bien, il veut des être libres.24 Le droit à l’exercice de la liberté est une exigence inséparable de la dignité de la personne humaine25 Cette dynamique opère dans l'éducation des enfants, spécialement une fois qu'ils ont atteint l'âge adulte : les parents ont la tâche délicate de proposer le bien à leurs enfants sans le leur imposer.

Si la loi semble oppressante, c'est lorsque nous ne croyons pas que nous pouvons nous affranchir de ce qu'elle condamne. L'homme qui imagine qu'il ne peut pas ne pas convoiter veut se "libérer" (comme dans "libération sexuelle") de ce poids pour pouvoir vivre sans contrainte enchaîné à la convoitise. S'affranchir de la liberté, en somme, pour accueillir à bras ouverts l'esclavage.

Pour les purs, tout est pur ; mais pour ceux qui sont souillés et qui refusent de croire, rien n'est pur : leur esprit et leur conscience sont souillés. Ils proclament qu'ils connaissent Dieu, mais ils le renient par leurs actes, abominables qu'ils sont, indociles et inaptes à rien faire de bien26

 

Pureté et chasteté

La pureté ne consiste pas simplement à éviter la non-chasteté. Elle demande d'accueillir vraiment la chasteté, c'est à dire une révérence, une admiration et un respect pour le corps. Toute pureté qui ne procèderait pas de ce respect pour la dignité du corps n'atteint pas le coeur de la chasteté.

Ainsi, la modestie qui s'appuie sur une dévalorisation de la sexualité n'est pas une modestie authentique. Dans Amour et Responsabilité le futur pape reconnaît que la modestie est liée à la manière dont les gens se vêtissent, mais le lien n'est pas celui que la plupart des gens intuitent. Couvrir les parties génitales ne manifeste pas une volonté de cacher des parties honteuses mais au contraire de protéger celles qui méritent l'honneur le plus grand en raison de la dignité que Dieu leur a accordé.

La nudité partielle et même totale ne sont ainsi pas nécessairement de l'immodestie : "l'immodestie est présente uniquement lorsque la nudité impacte négativement la dignité de la personne, quand elle a pour but d'attiser la concupiscence, qui a pour résultat de réduire la personne au rang d'objet de plaisir", ce qu'il appelle la dépersonnalisation par sexualisation. Mais il ajoute que cela n'est pas inévitable : seul un "maître du soupçon" supposerait que la nudité du corps mène inévitablement une personne à la concupiscence.

 

La pureté : vertu et don

La pureté est la capacité à faire fructifier les dons de l'Esprit.27 Parmi ces dons, la piété, c'est à dire la révérence pour le plan de Dieu, a une place particulière. Jean-Paul II dit d'elle qu'elle est un "fil conducteur peu connu de la théologie du corps, mais qu'elle mérite une étude approfondie".

Ce sens de la piété, Saint-Paul veut l'éveiller en nous :

 Le corps est, non pas pour la débauche, mais pour le Seigneur Jésus, et le Seigneur est pour le corps ; Ne le savez-vous pas ? Vos corps sont les membres du Christ. Vais-je donc prendre les membres du Christ pour en faire les unir à une prostituée ? Absolument pas. Fuyez la débauche. Tous les péchés que l'homme peut commettre sont extérieurs à son corps ; mais la débauche est un péché contre le corps lui-même. Ne le savez-vous pas ? Votre corps est le temple de l'Esprit Saint, qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu ; vous ne vous appartenez plus à vous-mêmes, car le Seigneur a payé le prix de votre rachat. Rendez donc gloire à Dieu dans votre corps.

La débauche est pour Saint-Paul un signe de dédain du salut accordé par Dieu. Là encore, les actes ne sont pas; la pureté du coeur est la seule chose qui compte. 
Un couple qui choisirait de ne pas avoir de relations sexuelles avant le mariage mais qui, pour se tenir  sa résolution, s'interdit de demeurer seuls a t-il vraiment trouvé la pureté ? Qu'est ce que cela dit du désir de leur coeur ? 
Et que signifie alors la nuit de noce : que le mariage serait un lieu où la concupiscence peut légitimement avoir libre cours ? Si un couple n'est pas libre dans son coeur, passer devant l'autel ne les rendra pas magiquement libres.

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Faire confiance à notre capacité à choisir dans la liberté de contrôler notre concupiscence et à choisir le bien peut nous effrayer. Il est plus facile de maintenir nos coeurs dans le soupçon perpétuel, mais c'est l'antithèse du sens de notre vie ! Nous sommes appelés, en fixant le Christ, à sortir de la barque et à marcher sur l'eau !
Cela implique un risque. Le "safe sex" n'existe pas. Il est toujours risqué d'aimer, mais ne pas le faire reviendrait à saborder la barque. Comme Pierre, le Christ nous appelle : "viens !"

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